SCENES DE MENAGE DANS UN OPERA DE BANLIEUE
Précédemment proposée
à la Scala en ouverture de la saison 1999/2000, cette production
de nous revient au Teatro degli Arcimboldi cette fois, dans une distribution
quelque peu modifiée.
Waltraud Meier retrouve le rôle-titre
et c'est une grande déception. En effet, et avec tout le respect
que l'on doit à cette artiste, il faut bien avouer qu'elle n'a plus
les moyens du rôle. "Abscheulicher!", en particulier, est franchement
pénible : aigus en dessous, graves désintégrés,
vocalises approximatives, timbre sec... seul le métier sauve Meier
de la débâcle.
L'incarnation dramatique, peu aidée
par une mise en scène qui se limite plutôt à une mise
en place, reste également très "premier degré", malgré
un engagement certain de l'artiste.
A l'inverse, voix ample et belle, Robert
Dean Smith triomphe aisément d'une tessiture difficile. Le seul
reproche qu'on pourrait lui faire, c'est qu'il chante décidément
trop bien pour être crédible dans ce rôle de prisonnier
désespéré, ravalé au rang d'animal ! Lui fait
défaut cette communion avec le personnage qu'on n'a guère
trouvée depuis Vickers : une bonne interprétation donc, mais
pas une incarnation.
Dans un rôle où beaucoup
de chanteurs se contentent "d'aboyer", Eike Wilm Schulte est une bonne
surprise en Pizarro, d'autant que physiquement, il n'a pas l'air de première
jeunesse : voix bien timbrée, respect scrupuleux de la partition,
jeu évitant la caricature... c'est vraiment du très bon travail.
Les petits rôles sont excellemment
tenus et les choeurs irréprochables : on notera en particulier l'intervention
d'Eva Lind en remplaçante de dernière minute dans le rôle
de Marzelline et l'agréable Jacquino de Matthias Klink, même
s'il est douteux que sa voix puisse porter jusqu'au fond de cette salle
à l'acoustique franchement médiocre.
Représentant une gigantesque
façade en briques à inclinaison variable, le décor
unique mais mobile d'Ezio Frigerio est efficace à défaut
d'être novateur, les costumes de Franca Squarciapino ajoutant à
l'impression de déjà vu.
Dans ces conditions, on est en droit
de se demander en quoi consiste la participation de Werner Herzog. En effet,
le cinéaste n'affiche ici aucune originalité, pas la moindre
touche personnelle, il n'apporte en fait rien de neuf à cette oeuvre
et à peine un peu de métier dans la direction d'acteurs.
Où est donc passé le talent de l'auteur d'Aguirre,
de Kaspar Hauser ou de Fitzcaraldo ? Mystère...
L'intérêt de la représentation
vient une fois de plus de la direction de Riccardo Muti, qui renouvelle
littéralement l'interprétation de cette oeuvre.
Créé dans sa version
initiale en 1805, Fidelio se situe chronologiquement entre La
Clémence de Titus de Mozart (1791) ou la Médée
de Cherubini (1797) d'une part, et La Vestale de Spontini (1807)
d'autre part. Ceci n'a pas empêché les plus grands chefs de
"tirer" l'opéra de Beethoven vers les romantiques allemands plus
tardifs, alors que Schumann ou Brahms naîtront près de 30
ans après la création de la première version de Fidelio.
Nous devons à cette tradition
des pages orchestrales sublimes (certaines versions de l'ouverture Leonore
III par Furtwängler, par exemple, sont proprement bouleversantes).
En revanche, ce parti pris crée
un hiatus avec le reste de l'oeuvre, en particulier la première
partie : on a alors l'impression d'un patchwork réunissant L'Enlèvement
au Sérail et d'un poème symphonique de Brahms. Cette
absence d'unité n'est certainement pas étrangère au
relatif insuccès de l'oeuvre qui cherche encore son public alors
qu'elle figure en bonne place dans n'importe quel ouvrage traitant de l'opéra
(le soir du 6 avril, plusieurs centaines de places restaient libres; même
les rangs à 10 et 20 Euros n'étaient pas complets !).
Fort de son expérience de la
musique de Cherubini et de Spontini (compositeurs trop rarement joués
qu'il défend et fréquente régulièrement) et
bien sûr de celle de Mozart (où il excelle à mon avis
bien plus que dans Verdi), Muti va réussir une étonnante
symbiose.
Son génie (n'ayons pas peur
des mots) va consister à "réduire la fracture" en donnant
plus de force aux passages proches de l'"opéra-comique", sans se
laisser entraîner dans l'hyper romantisme de Leonore III ou du "Choeur
des prisonniers".
Grâce à la magie du "maître",
nos yeux sont décillés et la partition, servie par un orchestre
somptueux, acquière une homogénéité que nous
ne lui connaissions pas. Une découverte, en somme.
Pour paraphraser Sacha Guitry à
propos de Molière, nous pourrons donc conclure:
- Quoi de neuf ?
- Beethoven !
Placido Carrerotti