Quand
Renée Fleming chante Renée Fleming...
On sort rarement entièrement
satisfait d'un récital, surtout lorsqu'il s'agit d'un récital
d'une grande diva internationale au répertoire particulièrement
éclectique : ayant acheté votre billet six mois à
l'avance sur un programme indéterminé, vous avez bien souvent
la désagréable surprise de découvrir au début
du spectacle que parmi les oeuvres qui vont être interprétées,
il s'en trouve certaines à qui vous avez toujours refusé
l'insigne honneur d'entrer dans votre discothèque personnelle. Or,
le récital de Renée Fleming donné dimanche après-midi
salle Wilfrid Pelletier est un de ces spectacles qui parviennent à
vous convaincre exactement du contraire et vous font ressortir malgré
tout avec un vague sourire béat aux lèvres. Et pourtant ce
ne sont pas les motifs de mécontentement qui manquaient dimanche
après-midi : une acoustique funeste qui vient ruiner "Let the bright
Seraphim", un chef aux trémoussements comiques et qui dirige (ou
tente de diriger) tantôt au ralenti, bien loin de la "Folle journée"
mozartienne, tantôt de manière expéditive (dans la
polka de Strauss), ou encore avec une grâce éléphantesque
dans la bacchanale de Saint-Saëns...
Mais heureusement, et c'était
là l'essentiel, il y avait Renée : son charme physique indéniable
bien mis en valeur par une exquise robe mauve, son sourire angélique,
son investissement sans faille, sa générosité (3 bis
en sus d'un spectacle bien rempli). Femme coquette dans l'air délicieusement
kitsch des bijoux, femme fatale dans Manon, femme amoureuse et désespérée
dans Gianni Schicchi, femme muse chez Strauss, la "diva Flamby"
parvient à être tout ça à la fois. Bien sûr,
tout cela a été soigneusement étudié et répété
(la belle a médité Diderot et son Paradoxe sur le Comédien),
mais cette préparation ne fait qu'enrichir son interprétation.
Le tout est couronné par des moyens vocaux exceptionnels qui ne
lui font à aucun moment défaut : un timbre crémeux
et riche, sans aucune aspérité ni sécheresse, un souffle
infini (mais respire-t-elle vraiment !?), des pianissimi filés
et langoureux à souhait dans "O mio babbino caro" (le petit Flamby
prend 30% de matières grasses supplémentaires d'un coup),
qui n'excluent pas la fantaisie et la frivolité dans les extraits
de Manon et de Faust. Malgré sa prédilection
pour les répertoires italien et français, c'est dans les
extraits de Korngold et de Strauss que le talent de Fleming prend toute
sa mesure : diction exemplaire (contrairement au Gounod où les consonnes
sont toujours un peu avalées), rehaussée de splendides couleurs
irisées et mordorées dans la voix... Jamais peut-être
on n'a été aussi proche de la perfection... Sensible au triomphe
qui lui est fait pour sa première prestation montréalaise,
la diva nous donne en autres bis un extrait de La Traviata, rôle
qu'elle va aborder pour la première fois à l'Opéra
de Houston dans quelques jours avant de le reprendre au Met en septembre.
Renée Fleming et Richard
Bado
© Yves Renaud
Dans un programme superbement illustré,
Bernard Labadie, le nouveau directeur artistique de l'Opéra de Montréal,
nous assure que ce concert n'est qu'un début et qu'il entend offrir
à la métropole "la vitrine lyrique brillante et bouillonnante
de vie qu'elle mérite" : le fait que le concert de dimanche fît
salle comble - contrairement à toutes les productions montées
cette saison) - et ce malgré le prix des billets, montre qu'il y
a au Québec un public jeune, mélomane et enthousiaste, prêt
à répondre présent pour autant qu' on lui propose
des spectacles de qualité.
Un des principaux défis de Bernard
Labadie, chef issu de la mouvance baroque, et qui veut faire du répertoire
baroque et contemporain des piliers de sa nouvelle programmation, sera
justement d'attirer ce nouveau public sans heurter sa clientèle
traditionnelle aux goûts assez conservateurs, le tout dans une salle
à l'acoustique médiocre... Y arrivera-t-il ? C'est tout ce
qu'on lui souhaite...
Rémi Bourdot