Après la flûte enchantée
de l'Opéra Bastille, la direction de l'ONP nous propose une production
dans le cadre plus intime du Palais Garnier, et d'une facture moins perturbante
que celle de Bob Wilson. Nouvelle production ? presque, puisque les grèves
de l'an dernier avaient empêché la majorité du public
de profiter de la mise en scène.
On sent d'ailleurs sur scène
la fébrilité d'une véritable première : nervosité
des chanteurs, petits ratages de la mise en scène : la reine de
la nuit accroche son costume à un élément de décor,
les colonnes à transformation restent coincées... c'est ce
qui fait la vie d'un théâtre, et qui rend la représentation
plus attachante encore.
L'orchestre, sous la direction d'Armin
Jordan, est survolté, et fait entendre un son splendide. L'ouverture,
rapide, vive et légère, est tout simplement magnifique. Il
y aura bien par la suite des décalages de ci de là, mais
ils seront rapidement maîtrisés par le chef.
La mise en scène est un régal,
dans l'optique de conte de fée adoptée par Benno Besson.
La direction d'acteurs est toujours juste et colle parfaitement à
la musique. Elle fourmille aussi de jolies trouvailles : la première
apparition de la Reine de la Nuit, dans une immense toile bleue qui se
gonfle et sa disparition à la fin de son air, comme aspirée
dans les profondeurs, son explosion à la fin du deuxième
acte, sont mémorables.
Les costumes ont été
revus depuis l'an dernier, ce qui a permis d'éliminer certains éléments
un peu ridicules, tels que le turban de Tamino ou la robe à paniers
de Pamina. Cette année, la robe blanche, à la fois simple
et sophistiquée, sied à merveille à Barbara Bonney,
qui sera ainsi la plus belle des Pamina, physiquement et vocalement. Les
déguisements des animaux charmés par la flûte et des
lions de Sarastro sont de petites merveilles de goût et d'inventivité.
On sent dans les décors de
Jean-Marc Stehlé la même inspiration que dans ceux qu'il avait
créé pour le récent Idoménée du Palais
Garnier, sauf que ces derniers, d'un kitsch effroyable, appelaient irrémédiablement
le fou-rire, tandis que ceux-ci sont d'une belle poésie : une forêt
unidimensionnelle en carton, un rideau comme celui du Palais Garnier, mais
entremêlé à un arbre, d'où dépasse la
branche à laquelle Papageno veut se pendre... C'est bien la preuve
qu'une bonne mise en scène est une réussite d'équipe.
De la même façon, la
somme des talents des chanteurs surpasse leurs mérites individuels,
car mise à part Barbara Bonney, avec un timbre qui a gardé
toute sa fraîcheur, aucun n'est franchement exceptionnel. Bons, solides,
mais surtout formant une équipe soudée et homogène
: c'est tout le prix de cette soirée.
Ainsi, détailler les prestations
de chaque interprète ne leur rendra pas justice. Notons seulement
que les trois dames ne chantent pas très juste, que Paul Groves,
superbe Admète face à Ann-Sofie Von Otter il y a deux ans,
force beaucoup trop et manque d'élégance, que Franck Leguerinel
est un solide et idiomatique Papageno, et qu'Elena Mosuc, visiblement handicapée
par le trac démarre mal ses deux airs pour les terminer bien mieux.
Cela ne rendra pas compte de la joie et de l'émerveillement que
l'on ressent face à cette flûte enchantée, dont on
espère déjà de nombreuses reprises.
Catherine Scholler