"La Flûte enchantée,
opérette idéale ?" se demande Gérard Condé
dans un texte très intéressant figurant dans le programme.
La question semble particulièrement adaptée à cette
production loufoque.
Des décors aux couleurs très
vives, des costumes farfelus, des gags burlesques, etc. : Achim Freyer,
l'auteur de la mise en scène, mais aussi des décors et des
costumes, ne cherche pas le second degré, mais avant tout à
distraire. Il semble après tout que c'eut été la volonté
première de Mozart, dont tout, dans le spectacle de la création,
le faisait rire (d'après un témoin de l'époque). Il
est d'ailleurs intéressant de noter qu'Achim Freyer en est à
sa troisième mise en scène de La Flûte Enchantée
et que, visiblement, il s'est de plus en plus tourné vers une esthétique
du premier degré : la première production était une
"conception métaphysique", la deuxième (pour Salzbourg) tournée
vers l'univers du cirque, et celle-ci, plutôt tournée vers
l'esthétique de la B.D., voire du cartoon (ce qui eut l'heur
de plaire aux enfants présents dans la salle !)
Bref, c'est très vivant, souvent
drôle, mais aussi parfois déroutant, incongru, voire dérangeant...
Citons par exemple l'absence de flûte pour Tamino, qui se contente
de lever les bras au ciel quand la flûte dont il est censé
jouer résonne, les références plus ou moins marquées
au colonialisme pour Sarastro et ses prêtres (avec deux lions tout
droit sortis d'un album de Spirou), les allusions en dessous de la ceinture
un peu trop marquées de Papageno, les trois dames faisant leur dernière
entrée dans un avion qui défonce une des trois portes du
décor (allusion douteuse et poussive au 11 septembre..., tout comme
la coiffe avec des piques de Sarastro, faisant allusion à la statue
de la Liberté (?)... ), bref, tout ne convainc pas dans cette production
qui laisse un sentiment mitigé.
Par contre, on ne pourra pas reprocher
aux chanteurs de ne pas jouer le jeu, tant ils étaient impliqués
(et très bien dirigés). Vocalement, on aura particulièrement
apprécié le très beau Tamino de Matthias Klink, tout
comme l'émouvante Pamina de Judith Howarth. De même le couple
Papageno - Papagena (Christian Gerhaher - Henrike Jacob) aura séduit,
ainsi que le Monostatos d'Hermann Oswald. Le Sarastro de Ron Li-Paz n'aura
par contre pas entièrement convaincu, semblant même à
court de grave à la fin de l'ouvrage, tout comme la Reine de la
Nuit prudente et poussive d'Ekaterina Morozova. Ses trois dames auront
apporté plus de plaisir, par contre les trois enfants de l'Augsburger
Domsingknaben étaient bien faibles. Le chúur m'a paru en petite
forme, tout comme l'orchestre, mais ils étaient tous bien entraînés
par une direction allante de Jan Willem de Vriend.
On ne pourra pas terminer ce compte-rendu
sans tirer un coup de chapeau à l'équipe technique de l'Opéra
du Rhin qui a réalisé un travail remarquable pour cette production
exigeante au niveau des changements scéniques, tout s'est fait dans
une synchronisation et un silence parfaits : bravo !
Bref, un spectacle qui méritait
d'être vu dans une salle, et qui y gagnait beaucoup par rapport à
la retransmission télévisée qu'en avait donnée
Arte dernièrement (le spectacle étant coproduit avec le festival
de Schwetzingen).
Pierre-Emmanuel LEPHAY