MONSTERS & CO
La Forza del Destino est une oeuvre
aujourdíhui trop rarement jouée, qui ruisselle de musique exceptionnelle.
La faute en incombe, non pas tant au livret (on en connaît de plus
absurde) quíà la difficulté de réunir des chanteurs
capables de triompher des difficultés de la partition.
Dans la pénurie actuelle, le
Teatro Regio de Turin réussit à moitié le pari, et
cíest déjà beaucoup.
Salvatore Licitra est un ténor
que les oreilles délicates qualifieront sans doute de ì hurleur
î (cíest assez vrai quíil est devenu rare díentendre un tel déferlement
de décibels) : il síagit en fait díun authentique ì spinto î, comme
on en fait plus, au timbre riche et ensoleillé. Physiquement, cíest
un cauchemar : díun autre côté, on nía pas payé pour
le peep-show.
Face à lui, Andrea Gruber est
une imposante Leonora, dans la tradition des Milanov : elle síenfile sans
efforts airs et ensembles, avec une musicalité parfaite. Líactrice
est sémaphorique, mais ce níest guère gênant dans le
contexte díun spectacle basé sur la richesse des voix.
Stefano Antonucci est en revanche très
décevant : timbre rêche, aigus limités et volume insuffisant.
Dans ces conditions le duo ì Solenne
in questíora î se transforme en solo pour ténor et civière.
Carlo Colombara est un superbe padre
guardanio, au grave somptueux : pour une fois, nous níavons pas une vieille
barbe sur le retour (ce qui nous fait un excellent enchaînement avec
Luigi Roni, qui níest plus que líombre de lui-même, cíest-à-dire
líombre de rien).
Anna Maris Chiuri est, hélas
classiquement, une Preziosilla trop lègére, qui, tout aussi
classiquement, rate ses suraigus et savonne ses vocalises.
Enfin, Bruno de Simone est un épatant
Fra Melitone, une basse au timbre de ténor.
Reste la mise en scène qui frise
le grandiose. La production mélange les toiles peintes dans le style
de Rouault et des éléments de décors sortis du village
des Schtroumpfs. Ca culmine au dernier acte : la caverne de Leonora est
juchée dans des arbres reliés par des ponts de lianes (la
gestuelle de Gruber rappelle celle du premier King Kong), quant au duel
Alvaro-Don Carlo, on dirait un remake de Tarzan contre Einstein !
Les costumes sont díune laideur à
tomber à la renverse, et aussi dépareillés que les
choristes (deux nains, trois obèses, un géant, vocalement
efficaces au demeurant).
La direction de Massimo de Bernart
est classique mais sans faille (si seulement il pouvait arrêter de
chanter ! ! !) et líoeuvre est donnée sans coupure (le mérite
des interprètes níen est que plus grand).
Au final, et si on met en perspective
les défauts du spectacle, un excellente soirée néanmoins.
Placido Carrerotti