Ouvrage fondateur de l’opéra
romantique allemand empruntant aux musiques populaires certains de leurs
rythmes et mélodies, Der Freischütz (quasi intraduisible en français en
conservant sa signification) faisait l’ouverture de la saison de l’Opéra de
Rennes sous la nouvelle direction d’Alain Surrans, qui signe là sa première
production - celle dont il est “ totalement ” le maître d’œuvre,
entendons-nous.
Cette jolie salle du XVIIIe siècle,
récemment rénovée, possède les qualités de ses défauts et réciproquement. 650
places seulement, un petit plateau, mais un acoustique qui permet à la musique
de vous submerger, le son paraissant parfois amplifié (ce n’est pas le cas !)
tant l’espace répercute les harmonies et les décibels. Il est quasi
impossible de ne pas être concerné par ce qui se déroule sur scène, ce qui est
un challenge risqué pour tous, on l’aura compris. Rappelons enfin que cet
opéra ne bénéficie pas d’un budget “ dodu ”…
Disons-le d’emblée, le pari
de représenter ce grand opéra fut réussi. Dans une production de l’Opéra de
Metz, créé en 2004, Alain Surrans a montré son savoir-faire avec une
distribution parfaitement homogène et une technique de scène très efficace.
S’attaquer à la scène de la vallée des loups, qui fit à sa création le succès
de l’ouvrage, sans tomber à plat ou friser le “ grand guignol ”, n’est pas
aisé avec des moyens contraints. Bravo donc à Daniele Guerra qui a su manier
avec talent et imagination l’imagerie du XVIIIe siècle
germanique et la modernité du XXe siècle.
Mélangés avec justesse, le
souci du détail explicite et l’imaginaire fantasmatique ont permis un suivi
parfait de l’action. De la salle de chasse à la chambre d’Agathe dépouillées
mais émaillées d’accessoires éclairants, jusqu’aux jeux d’ombre chinoise et de
miroirs bien intégrés à l’action, l’ensemble a relayé sans faille les
fantasmes et les peurs des héros aux réalités de la vie rurale de la bohème
d’autrefois.
Habilement maniés par les
dextres techniciens de scène , les changements de décors fonctionnent à
merveille, tenant le public en haleine. Les éclairages de Patrice Willaume
sont aussi bien pensés et les jolis décors de Charles Edwards s’égrènent sur
des tons de gris clair et de cannelle, permettant de donner un espace visuel
inattendu au plateau pourtant exigu. Petit bémol pour les costumes de Coralie
Sanvoisin pas très seyants (Agathe notamment) et sans grande imagination.
Triomphateur de la soirée,
le chœur (non permanent) dirigé par Gildas Pungier a été justement acclamé. Il
est vrai que les interventions chorales ont été particulièrement travaillées
par Weber, avec des passages d’une grande modernité et d’une grande
difficulté. Reste à réussir ces ensembles, ce que le chœur de l’Opéra de
Rennes, jeune et enthousiaste, a parfaitement accompli : bravo.
On retrouve cette qualité
d’ensemble dans la distribution où –fait rare - il n’y aucun “ trou ”. Sans
doute Angelina Ruzzafante est la voix la plus impressionnante, avec une Agathe
parfois surdimensionnée. Voix large et facile, au timbre encore un peu
impersonnel (tout comme son jeu par moments), Angelina Ruzzafante possède un
souffle long, une jolie morbidezza et un aigu percutant. On notera seulement
que ses aigus justement sont un rien métalliques, ce qui peut heurter dans le
rôle. Cette artiste pourrait s’orienter par étapes vers des rôles différents
tels que ceux de Richard Strauss (Arabella, Ariane, Chrysothemis, Helena), de
Richard Wagner (Elisabeth, Sieglinde, Elsa) et aussi surprenant que cela
puisse paraître on l’imagine volontiers d’ici quinze ans affronter Odabella et
Lady Macbeth. Ces personnages violents sur tous les plans lui permettraient
sans doute de se “ décorseter ”, soutenue par un metteur en scène qui ose. Ce
métal deviendrait alors un atout, car le matériau est là.
L’Ännchen de Matisol
Montalvo fait irrésistiblement songer à Reri Grist et Kathleen Battle, même si
son timbre est bien moins fruité. Mais abattage, fraîcheur, aigus faciles,
maîtrise des moyens, lui font remporter la palme des applaudissement. Côté
dames, signalons enfin Stéphanie Pinard, l’une des quatre demoiselles
d’honneur du troisième acte, qui propose une voix de mezzo aigu
particulièrement intéressante et qui mérite sans conteste une attention
particulière. Voix ample, timbre qui “ accroche l’oreille ”, présence… à
suivre.
Chez les hommes, même
égalité du premier au dernier rôle. Marc Haffner offre à Max une fort bonne
voix de ténor spinto, très adaptée au répertoire germanique et français. Il
relève sans difficulté les nombreux pièges de ce rôle difficile avec un bel
engagement, une égalité des registres et une ampleur obtenue sans effort
apparent. Stephen Richardson est un Kaspar méchant à souhait ; voix solide,
sens dramatique (parfois trop appuyé au détriment de la qualité vocale), cette
basse britannique a offert au public rennais une fort bonne prestation.
Belle voix également avec
Gregor Rozycki (L’Ermite et Samiel) dans sa relativement courte intervention,
et solides prestations d’Alexander Swan (Kilian), Yuri Kissin (Kuno) et Till
Fechner (Ottokar). En somme un casting bien pensé qui, sans offrir de
“ chocs ”, a proposé une belle interprétation de ce singspiel.
Seule déception de cette
production, la prestation de l’orchestre de Bretagne et son chef invité Antony
Hermus. Si l’on passe sur les approximations des cuivres et des bois, on ne
peut qu’être malheureusement déçu par une sonorité d’ensemble médiocre, un
flou des attaques et une disparité dans les pupitres, qui plombent la
partition. Antony Hermus n’a pas su ou pu galvaniser les musiciens, et ce sont
les chanteurs (chœur inclus) qui assurent la qualité musicale de la
représentation. La très célèbre ouverture est ainsi découpée en tranches de
saucisson, et tombe totalement à plat. Le public a mollement applaudi à ce
hit… c’est tout dire. Sans discours musical, Antony Hermus anéantit le
romantisme tantôt enflammé tantôt méditatif de Weber, et le beau tissu
orchestral du maître allemand reste littéralement au fond de la fosse… C’est
d’autant plus dommage que le reste du spectacle est très bien maîtrisé et
offre de belles prestations.
Edouard de Mortagne