SEQUENCE
EMOTION
Il n'y a sans doute aucun théâtre
qui ne sache comme le Metropolitan honorer les artistes qui s'y sont produits.
Et il n'y a sans doute aucun public qui ne sache témoigner son affection
aux chanteurs, comme ce "noyau dur" des vrais passionnés new-yorkais,
connaisseur en talents musicaux (autant que réfractaire aux mises
en scène modernes !), fidèle et généreux.
Quand il s'agit d'une artiste comme
Mirella Freni, l'émotion est d'autant plus grande qu'il y a moins
d'un an disparaissait Nicolai Ghiaurov, son compagnon à la ville
et bien souvent à la scène, un autre enfant chéri
du public new-yorkais.
A 70 ans passés, il fallait
beaucoup de courage à la soprano italienne pour oser ce retour sur
les lieux de sa gloire passée : la chanteuse relève pourtant
le défi, remportant à l'arraché une victoire méritée
sur le destin.
Pour l'occasion, son public fidèle
s'est déplacé en masse pour lui rendre hommage ; on peut
supposer que certains étaient déjà là à
ses débuts au Met 40 ans plus tôt, car on aura rarement vu
dans cette salle une telle débauche de déambulateurs ou de
chaises roulantes (et peut-être même une ou deux civières
!).
Après une ouverture de La
Fiancée Vendue d'une précision toscaninienne, la diva
arrive sur scène au bras de John Volpe, directeur du Metropolitan.
Très émue par l'ovation qui la salue, elle attaque (après
un signe de croix) la "petite table" de Manon d'une voix moyennement assurée
; les aigus sont un peu courts, de même que le souffle, mais que
signifient ces critiques en un tel moment ? Le triomphe qui suit achèvera
de la rasséréner.
Frederica von Stade lui succède
pour un "Connais-tu le pays" d'une émotion vibrante, simple et sincère,
d'une parfaite musicalité ; impossible d'imaginer que cette artiste
fêtera ses 60 ans le 1er juin prochain, et pourtant !
Salvatore Licitra campe un Chénier
de fière allure, sonore, sans les incertitudes de justesse qu'on
lui connaît parfois.
Changement de décor avec l'imposant
Prologue de Mefistofele où les choeur (80 adultes et 22 enfants
!) et orchestre du Metropolitan s'affirment comme une formation du plus
haut niveau ; James Morris en pâlit un peu alors que son interprétation
est digne d'éloge et justifierait une reprise de la production de
Robert Carsen rien que pour lui.
Marcello Giordani chante un beau "Cielo
e mar", avec des aigus somptueux qui électrisent la salle, mais
toujours ce bas medium mal timbré, un peu fluctuant.
Les deux extraits d'Adriana qui suivent
ne sont toujours pas convaincants pour ce qui est de Mirella Freni, d'autant
que Licitra, en pleine forme, a du mal à ne pas la couvrir totalement
dans les duos.
Après l'entracte, nous retrouvons
Mirella pour un programme russe. La Pucelle d'Orléans permet
à la chanteuse de dissiper nos doutes quant à sa capacité
à interpréter une oeuvre intégrale ; l'artiste s'y
révèle sans faille, les moyens vocaux et la qualité
de l'interprétation n'appellent aucune réserve.
Même satisfaction avec l'acte
III d'Onéguine, et principalement la scène finale
et son duo passionné avec Dmitri Hvorostovsky. Ce dernier nous gratifie
d'un chant impeccable, magnifiquement phrasé, mais hélas
un peu court en terme de projection.
Auparavant, Robert Lloyd nous aura
très agréablement surpris en chantant magnifiquement l'air
du Prince Grémine. Autre triomphateur discret, James Levine dont
la direction précise, dramatique, mais toujours attentive aux chanteurs,
contribue à faire de cette version concert un vrai moment de théâtre.
Le spectacle se termine par un bis
: "Non ti scordar di me", chanté en duo avec Marcello Giordani,
dans une version orchestrale un peu sirupeuse qui contraste avec la tension
des pages précédentes.
Après une immense ovation, quelques
larmes et de beaux sourires, Mirella Freni se verra gratifiée de
l'inévitable discours de John Volpe, retraçant les grandes
étapes de sa carrière au Met, la disparition de Nicolai Ghiaurov
(ce qui permettra à la salle de se manifester une nouvelle fois
par ses applaudissements). Puis, le Directeur du Metropolitan Opera lui
offrira une photo dédicacée de Puccini encadrée, le
galon provenant du rideau du Met.
Visiblement bouleversée, Mirella
conclura par quelques mots de remerciements à l'égard de
"sa seconde maison", incluant tous ceux avec qui elle a collaboré
(jusqu'aux coiffeurs !) et bien sûr son public fidèle.
Une bien belle soirée, comme
on en voit hélas peu en Europe et moins encore en France.
C'est au Met, et c'est nulle part
ailleurs.
Placido Carrerotti