UN SOLEIL FINLANDAIS...
De tous les centres culturels étrangers
installés à Paris, l'Institut
Finlandais est probablement l'un des plus dynamiques. Admirablement
situé au 60 rue des Écoles, à deux pas de la Sorbonne,
il propose des activités variées, aussi bien dans les domaines
du cinéma, des arts plastiques que dans celui de la musique de chambre,
contemporaine et vocale. Ce récital inaugurait un cycle intitulé
"Soirées Lyriques" (1) dont Valérie Gabail
est la directrice artistique.
D'emblée, l'on est conquis par
la voix large, ronde et pure, très riche en harmoniques, de ce jeune
soprano qui effectue un brillant début de carrière dans son
pays et à l'étranger. Son médium dense et ambré,
ses aigus rayonnants, sa générosité, son charme et
sa fraîcheur font irrésistiblement penser à la divine
Lucia Popp, hélas trop tôt disparue.
Dotée d'une forte présence
et d'une personnalité extravertie, quasiment solaire, Pia Freund
est heureuse de vivre et de chanter : elle communique très rapidement
ce bonheur à son auditoire, aussi bien dans les mélodies
finlandaises, lumineuses, que dans le très célèbre
Liederkreis
auquel elle confère une atmosphère oscillant généralement
plus entre l'élégie et la joie, que l'élégie
et... la mélancolie. D'autres, telle sa compatriote Soile Isokoski,
Barbara Bonney et la grande Susanne Danco, pour ne citer que celles-là,
en ont donné une lecture plus sombre, plus "romantique", sans doute.
Il n'empêche que l'on est conquis par tant de naturel, de spontanéité
et de ferveur, presque naïve.
Il faut dire qu'elle a trouvé
en Juhani Lagerspetz un comparse de haut vol. Ce pianiste fervent, qui
se produit également comme soliste et qui est à la tête
d'une vaste discographie, accompagne chaque mot, chaque respiration avec
une attention presque gourmande et, la plupart du temps, "chante" avec
elle.
Malgré une diction allemande
parfois un peu précieuse et une certaine tendance à "surjouer"
certaines mélodies, comme le célèbre "Waldesgrespräch",
qui est un dialogue ambigu entre la Lorelei et un preux chevalier perdu
dans la forêt, elle livre sans aucun doute une très belle
interprétation de ce cycle réputé difficile, à
laquelle quelques années de maturité supplémentaires
donneront probablement un peu plus de profondeur.
Avec les Cabaret Songs de Britten,
on se trouve propulsé dans un tout autre univers, évidemment
plus contemporain, plus sarcastique aussi, assez proche, par certains côtés,
de celui de Poulenc.
Ce répertoire révèle
la veine comique de la cantatrice, son sens de l'humour aussi. Ces "songs"
sollicitent plus le médium de la voix, qu'elle a très charnu,
tout en mettant aussi en valeur ses aigus, éclatants et puissants.
Son abattage, sa vitalité, son sens du théâtre, font
ici merveille et, malgré l'ironie souvent grinçante de ces
pages, Pia Freund décide encore une fois de tourner le dos au désespoir
et choisit délibérément de nous offrir leur versant
"solaire", là où d'autres, comme Ian Bostridge, auraient
privilégié le caractère plus lunaire de la noire mélancolie.
Mais non, Pia Freund rayonne, encore
et toujours, et chasse bien loin les nuages de la tristesse, en ayant l'air
de nous dire : "En somme, tout cela n'est pas si grave et, finalement,
la vie est belle !"
Il est dommage que cet agréable
auditorium, à l'acoustique superbe, ait accueilli un public si peu
nombreux. Frilosité, manque de curiosité ? Toujours est-il
que les personnes présentes, venues fort heureusement se réchauffer
à ce clair soleil, firent un accueil enthousiaste à Pia Freund
et à son talentueux pianiste. Ce fut aussi le cas le lendemain,
dans le Grand Foyer de l'Opéra de Lille (2), où
le même récital fut chaleureusement applaudi.
En ces temps souvent moroses, une telle
artiste fait plaisir à voir et à entendre ; indiscutablement,
on tient là une chanteuse promise, si elle est "raisonnable" bien
sûr, à un brillant avenir.
Décidément, ces "voix
chaudes venues du froid" n'ont pas fini de nous étonner !
Juliette BUCH
(1)
Neuf
récitals de Mars à Mai 2004, réunissant artistes
finlandais et français (ndlr)
(2) Dans le cadre
des "Concerts
du Mercredi" de l'Opéra de Lille (ndlr)