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NEW YORK
Metropolitan Opera

11/05/02

 
The Great Gatsby

Opéra en deux actes de John Harbison

Livret de John Harbison, d'après le roman de F. Scott Fitzgerald
Texte des chansons de Murray Horwitz

Commande du Metropolitan Opera
pour le 25ème anniversaire des débuts de James Levine

Direction musicale : James Levine
Production : Mark Lamos
Décors : Michael Yeargan
Costumes : Jane Greenwood
Lumières : Duane Schuler
Chorégraphie : Robert La Fosse


(Photo : Jerry Hadley & Dawn Upshaw)
 

Jay Gatsby : Jerry Hadley
Daisy Buchanan : Dawn Upshaw
Tom Buchanan : Mark Baker
Nick Carraway : Dwayne Croft
Jordan Baker : Susan Graham
Myrtle Wilson : Lorraine Hunt Lieberson
George Wilson : Richard Paul Fink
Radio & Band Vocalist : Matthew Polenzani
Tango Singer : Jennifer Dudley
Meyer Wolfshiem : William Powers
Henry Gatz : Frederick Burchinal
Minister : LeRoy Lehr

Choeurs et orchestre du Metropolitan

New York, le 11 mai 2002 (matinée)


Gatsby le Magnifique

Avec son intrigue riche et mouvementée, Gatsby le magnifique a déjà tenté le cinéma (3 versions) et le théâtre, mais sans parvenir à un résultat pleinement satisfaisant.
En adaptant pour la scène le roman de F. Scott Fitzgerald, John Harbison ne prenait donc qu'un risque : celui de ne pas être à la hauteur de son sujet.
Publié en 1925 et modestement accueilli, le roman de F. Scott Fitzgerald est une peinture des années 20, au travers d'une intrigue romanesque teintée de nostalgie.
C'est l'histoire de l'ascension et de la chute du flamboyant Jay Gatsby, fortune vite bâtie, pas toujours très honnêtement, de ses tentatives pour reconquérire l'amour de l'aristocratique Daisy, mariée au brutal Tom.
Daisy et Gatsby se fréquentaient avant la première guerre mondiale. Mais, tandis que Gatsby se bat dans les tranchées, elle finit par épouser le riche Tom Buchanan, pour la sécurité que sa fortune lui procure, ceui-ci n'ignorant rien de son amour pour Gatsby. 
Invétéré coureur de jupon, Tom entretient une liaison avec la pulpeuse Myrtle, la femme de George, le pompiste du village. Il n'en est pas moins jaloux de l'inclination de sa femme pour Gatsby.
Myrtle mourra écrasée sous la voiture de Gatsby alors qu'elle croit s'élancer vers son amant : Gatsby s'accusera de l'accident dont Daisy, qui conduisait la voiture, est en fait responsable. Désespéré, George tue Gatsby d'un coup de carabine tandis que l'empire de celui-ci est déjà en train de s'écrouler sous les dettes.
L'histoire est racontée par Nick Carraway, le cousin de Daisy et ancien camarade de tranchées de Gatsby, personnification de Fitzgerald lui-même.
Au delà d'une intrigue éminemment romanesque, l'oeuvre de Fitzgerald est une réflexion sur ces flamboyantes années 20, et sur la corruption de l'american dream par le matérialisme.
Si l'oeuvre est teintée de nostalgie, c'est une nostalgie qui vise la période qui précède les annèes 20 : ce n'est donc pas le moindre des paradoxes que de constater que les adaptations récentes, y compris celle-ci, sont empreintes de nostalgie envers les années 20 elles-mêmes, ce qui est pur contre-sens.

On connaît la difficulté d'écrire des choses intelligentes sur l'art de son époque : l'histoire de la musique regorge d'ailleurs de fausses gloires passées à la trappe et de chefs d'oeuvre descendus en flammes ! Bravons néanmoins le risque de faire rire dans 20 ans.

L'oeuvre d'Harbison se veut ancrée dans la tradition ; nous retrouvons les structures classiques de l'opéra: airs, ensembles, choeurs et même ballet !

Si l'on considère l'opéra, non comme un exercice purement intellectuel, mais avant tout comme la forme la plus aboutie de l'expression des passions, ce choix peut se justifier, d'autant que le livret est riche en situations dramatiques.

Le langage musical alterne une écriture moderne et les rythmes des années 20 (charleston, foxtrot, tango ou ragtime, également composés par Harbison). 

Ce n'est quand même pas Le Chevalier à la Rose : on passe d'un style à l'autre sans solution de continuité, mais suivant un procédé proche de celui utilisé au cinéma, quand la bande originale se substitue en fondu-enchainé à une musique effectivement jouée ou entendue par les personnages.
L'écriture moderne est très respectueuse des voix, évitant dissonances et sauts de registres et laisse une grande liberté à l'interprétation vocale.
Mais c'est aux nombreux interludes orchestraux que nous devons les moments les plus forts.
En effet, l'écriture brille peu, emprunte qu'elle est d'une uniformité morose.
Si cette musique convient pour entretenir un certain climat nostalgique (avec les réserves que j'ai faites plus haut sur ce sujet), elle échoue à exprimer l'extraordinaire énergie du roman.
Le quintette de la chambre du Plaza, dramatiquement le pilier de l'oeuvre avec sa confrontation en huis-clos des principaux personnages, tombe tout particulièrement à plat ; le duo d'amour du premier acte (ajout par rapport au roman) également.
La plus belle page me semble finalement être celle de la mort de Myrtle, interlude compris : pour une fois, la passion perce dans la musique et l'émotion est enfin au rendez-vous. 

Les moments jazzy, au contraire, rendent mieux compte de cette énergie, et on se dit que Gatsby aurait plutôt fait un bon musical !

Pour cette reprise, semble-t-il été légèrement écourtée, nous retrouvons pratiquement la distribution de la création, le 20 décembre 1999.

Brun brillantiné avec un peu d'embonpoint, Jerry Hadley est un Gatsby certes très correct, mais on pourrait rêver d'un interprète plus magique, plus animal, plus mystérieux. Gatsby, c'est une météorite !
A la limite, un Richard Leech aurait été visuellement plus proche de notre souvenir de Robert Redford que ce ténor qui manque de charisme, sans parler d'aigus qui se ressèrent et un timbre assez plat.

A ses côtés, Dawn Upshaw n'a pas à forcer son naturel pour camper une Daisy Buchanan un peu affectée, abusant du stéréotype de "la-faible-aristrocrate-aimant-flirter-mais-revenue-de-tout".

A l'inverse, Susan Graham est d'un grand naturel dans son incarnation de Jordan Baker, espèce de garçon manqué entremetteur.

Dwayne Croft n'appelle aucune réserve dans un rôle où il n'a pas malheureusement beaucoup d'occasion de briller.

Dans le rôle de la maitresse de Tom, épouse délaissée du pitoyable garagiste George Wilson (incarné avec talent par Richard Paul Fink), Lorraine Hunt Lieberson est, quant à elle, absolument épatante.

Mark Baker incarne à la perfection Tom, personnage jouisseur, mélange d'arrogance et de veulerie.

Les seconds rôles sont admirablement bien tenus : le chanteur de jazz de Matthew Polenzani (Walther dans Les Maîtres !), William Powers (mari de Jennifer Larmore, entendu dans La Favorite à Favart il y a quelques années) qui incarne l'affairiste véreux Meyer Wolfshiem, ou encore Frederick Burchinal dans le rôle d'Henry Gatz, le vrai père de Gatsby.

Si les choeurs n'interviennent que rarement, le compositeur leurs réserve ses plus belles scènes chantées, une chorégraphie efficace contribuant alors à réveiller les spectateurs assoupis.

Les deux longs actes d'une heure et quart chacun sont dirigés avec langueur et mollesse par un James Levine pas très en forme ce jour là (cf. critique de Tosca en soirée). Un chef un plus énergique aurait certainement tiré un meilleur parti de cette oeuvre.

La direction d'acteur est parfaite. Les décors simples aux tons pastel sont heureusement contrebalancés par de superbes costumes. Les éclairages, souvent tamisés, contribuent eux aussi à nous rappeler la version cinématographique de 1974.

Beau sujet, belle production, bons interprètes ... il ne manquait plus qu'une belle partition bien dirigée : rendez-vous en partie manqué.
  


Placido Carrerotti
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