Gatsby
le Magnifique
Avec son intrigue riche et mouvementée,
Gatsby
le magnifique a déjà tenté le cinéma (3
versions) et le théâtre, mais sans parvenir à un résultat
pleinement satisfaisant.
En adaptant pour la scène le
roman de F. Scott Fitzgerald, John Harbison ne prenait donc qu'un risque
: celui de ne pas être à la hauteur de son sujet.
Publié en 1925 et modestement
accueilli, le roman de F. Scott Fitzgerald est une peinture des années
20, au travers d'une intrigue romanesque teintée de nostalgie.
C'est l'histoire de l'ascension et
de la chute du flamboyant Jay Gatsby, fortune vite bâtie, pas toujours
très honnêtement, de ses tentatives pour reconquérire
l'amour de l'aristocratique Daisy, mariée au brutal Tom.
Daisy et Gatsby se fréquentaient
avant la première guerre mondiale. Mais, tandis que Gatsby se bat
dans les tranchées, elle finit par épouser le riche Tom Buchanan,
pour la sécurité que sa fortune lui procure, ceui-ci n'ignorant
rien de son amour pour Gatsby.
Invétéré coureur
de jupon, Tom entretient une liaison avec la pulpeuse Myrtle, la femme
de George, le pompiste du village. Il n'en est pas moins jaloux de l'inclination
de sa femme pour Gatsby.
Myrtle mourra écrasée
sous la voiture de Gatsby alors qu'elle croit s'élancer vers son
amant : Gatsby s'accusera de l'accident dont Daisy, qui conduisait la voiture,
est en fait responsable. Désespéré, George tue Gatsby
d'un coup de carabine tandis que l'empire de celui-ci est déjà
en train de s'écrouler sous les dettes.
L'histoire est racontée par
Nick Carraway, le cousin de Daisy et ancien camarade de tranchées
de Gatsby, personnification de Fitzgerald lui-même.
Au delà d'une intrigue éminemment
romanesque, l'oeuvre de Fitzgerald est une réflexion sur ces flamboyantes
années 20, et sur la corruption de l'american dream par le matérialisme.
Si l'oeuvre est teintée de
nostalgie, c'est une nostalgie qui vise la période qui précède
les annèes 20 : ce n'est donc pas le moindre des paradoxes que de
constater que les adaptations récentes, y compris celle-ci, sont
empreintes de nostalgie envers les années 20 elles-mêmes,
ce qui est pur contre-sens.
On connaît la difficulté
d'écrire des choses intelligentes sur l'art de son époque
: l'histoire de la musique regorge d'ailleurs de fausses gloires passées
à la trappe et de chefs d'oeuvre descendus en flammes ! Bravons
néanmoins le risque de faire rire dans 20 ans.
L'oeuvre d'Harbison se veut ancrée
dans la tradition ; nous retrouvons les structures classiques de l'opéra:
airs, ensembles, choeurs et même ballet !
Si l'on considère l'opéra,
non comme un exercice purement intellectuel, mais avant tout comme la forme
la plus aboutie de l'expression des passions, ce choix peut se justifier,
d'autant que le livret est riche en situations dramatiques.
Le langage musical alterne une écriture
moderne et les rythmes des années 20 (charleston, foxtrot, tango
ou
ragtime, également composés par Harbison).
Ce n'est quand même pas Le
Chevalier à la Rose : on passe d'un style à l'autre sans
solution de continuité, mais suivant un procédé proche
de celui utilisé au cinéma, quand la bande originale se substitue
en fondu-enchainé à une musique effectivement jouée
ou entendue par les personnages.
L'écriture moderne est très
respectueuse des voix, évitant dissonances et sauts de registres
et laisse une grande liberté à l'interprétation vocale.
Mais c'est aux nombreux interludes
orchestraux que nous devons les moments les plus forts.
En effet, l'écriture brille
peu, emprunte qu'elle est d'une uniformité morose.
Si cette musique convient pour entretenir
un certain climat nostalgique (avec les réserves que j'ai faites
plus haut sur ce sujet), elle échoue à exprimer l'extraordinaire
énergie du roman.
Le quintette de la chambre du Plaza,
dramatiquement le pilier de l'oeuvre avec sa confrontation en huis-clos
des principaux personnages, tombe tout particulièrement à
plat ; le duo d'amour du premier acte (ajout par rapport au roman) également.
La plus belle page me semble finalement
être celle de la mort de Myrtle, interlude compris : pour une fois,
la passion perce dans la musique et l'émotion est enfin au rendez-vous.
Les moments jazzy, au contraire,
rendent mieux compte de cette énergie, et on se dit que Gatsby
aurait plutôt fait un bon musical !
Pour cette reprise, semble-t-il été
légèrement écourtée, nous retrouvons pratiquement
la distribution de la création, le 20 décembre 1999.
Brun brillantiné avec un peu
d'embonpoint, Jerry Hadley est un Gatsby certes très correct, mais
on pourrait rêver d'un interprète plus magique, plus animal,
plus mystérieux. Gatsby, c'est une météorite !
A la limite, un Richard Leech aurait
été visuellement plus proche de notre souvenir de Robert
Redford que ce ténor qui manque de charisme, sans parler d'aigus
qui se ressèrent et un timbre assez plat.
A ses côtés, Dawn Upshaw
n'a pas à forcer son naturel pour camper une Daisy Buchanan un peu
affectée, abusant du stéréotype de "la-faible-aristrocrate-aimant-flirter-mais-revenue-de-tout".
A l'inverse, Susan Graham est d'un
grand naturel dans son incarnation de Jordan Baker, espèce de garçon
manqué entremetteur.
Dwayne Croft n'appelle aucune réserve
dans un rôle où il n'a pas malheureusement beaucoup d'occasion
de briller.
Dans le rôle de la maitresse
de Tom, épouse délaissée du pitoyable garagiste George
Wilson (incarné avec talent par Richard Paul Fink), Lorraine Hunt
Lieberson est, quant à elle, absolument épatante.
Mark Baker incarne à la perfection
Tom, personnage jouisseur, mélange d'arrogance et de veulerie.
Les seconds rôles sont admirablement
bien tenus : le chanteur de jazz de Matthew Polenzani (Walther dans Les
Maîtres !), William Powers (mari de Jennifer Larmore, entendu
dans La Favorite à Favart il y a quelques années)
qui incarne l'affairiste véreux Meyer Wolfshiem, ou encore Frederick
Burchinal dans le rôle d'Henry Gatz, le vrai père de Gatsby.
Si les choeurs n'interviennent que
rarement, le compositeur leurs réserve ses plus belles scènes
chantées, une chorégraphie efficace contribuant alors à
réveiller les spectateurs assoupis.
Les deux longs actes d'une heure et
quart chacun sont dirigés avec langueur et mollesse par un James
Levine pas très en forme ce jour là (cf. critique de Tosca
en soirée). Un chef un plus énergique aurait certainement
tiré un meilleur parti de cette oeuvre.
La direction d'acteur est parfaite.
Les décors simples aux tons pastel sont heureusement contrebalancés
par de superbes costumes. Les éclairages, souvent tamisés,
contribuent eux aussi à nous rappeler la version cinématographique
de 1974.
Beau sujet, belle production, bons
interprètes ... il ne manquait plus qu'une belle partition bien
dirigée : rendez-vous en partie manqué.
Placido Carrerotti