Aimez-vous les mélos ? La
Gioconda ne se limite pas à la danse des heures, même
immortalisée et parodiée dans Fantasia. C'est un sombre
mélodrame que Victor Hugo a troussé avec tous les excès
du drame romantique : il est à prendre, avec les conventions du
genre, ou à laisser. Certains critiques feront la fine bouche, se
pinceront le nez et parleront de musique et d'effets faciles. Nous ne bouderons
pas notre plaisir, car depuis combien de temps La Gioconda n'a-t-elle
pas été donnée à Paris ? Il faut en revanche
oublier les interprétations légendaires des Callas, Cerquetti,
Scotto, Corelli, Simionato, Gavazzeni et autre Siepi de l'âge d'or,
sous peine d'être cruellement déçu.
La production du Deutsche Oper a trente
ans et reconstitue des décors contemporains de Ponchielli. Pas de
vaisseau spatial ou de métro, mais une Venise de carton on ne peut
plus fidèle au livret. Cela tombe parfois dans le kitsch avec le
vaisseau d'Enzo au deuxième acte qui fait vraiment bateau de bande
dessinée alla Peter Pan. En revanche, au troisième
acte, pour le palais d'Alvise, les éclairages rasants donnent une
idée des couleurs que devaient voir les spectateurs du XIXe siècle.
Paolo Olmi n'a peut-être pas
pu bénéficier d'un nombre suffisant de répétitions
avec un orchestre qui joue presque tous les soirs des oeuvres différentes.
A plusieurs reprises, la fosse est en avance ou en retard par rapport à
la scène, obligeant le chef à multiplier les moulinets. Par
moments, ses tempi sont trop lents et les enchaînements entre
les différentes scènes manquent de vivacité.
Sur scène, Barnaba est un vrai
méchant de mélodrame, odieux jusqu'au bout. Il est chanté
par un Alberto Mastromarino juste correct. Son air du premier acte (une
sorte de "credo" façon Iago) ainsi que celui du deuxième,
n'ont pas le panache requis et les aigus restent dans la gorge. J'avoue
ne pas aimer le timbre de Walter Fraccaro qui interprète Enzo. La
voix n'est pas très puissante et reste pourtant avare de nuances.
Son "Cielo e mar" du deuxième acte manque de poésie, le frisson
n'est pas au rendez-vous. L'Alvise d'Arutjun Kotchinian, quant à
lui, est un peu emprunté et statique sur le plan du jeu, mais il
exécute proprement son air du troisième acte.
Sa partenaire, Michaela Schuster, remplaçant
Mihoko Fujimara, souffrante, on peut comprendre que le duo du troisième
acte ne fasse pas les étincelles souhaitées. Ce remplacement
l'a sans doute empêchée d'interpréter avec plus d'intensité
et de justesse son personnage. Toutefois, la voix possède l'ambitus
du rôle et elle se tire avec les honneurs de son duo avec Gioconda.
Claire Powell a gardé une voix
riche et de bons graves pour des rôles comme la Cieca.
Anna Shafajinskaia est une Gioconda
toutes griffes dehors, forçant ses aigus, poitrinant les graves.
A ce régime, la voix risque de se détériorer prématurément.
Les signes de fatigue ne trompent d'ailleurs pas. Au dernier acte, la soprano
sabote ses deux contre-ut dans le trio avec Enzo et Laura, effleurant à
peine le premier et criant le deuxième, après avoir respiré
au milieu du mot "addio". L'actrice joue pourtant avec conviction, mais
on aimerait entendre davantage de demi-teintes, de variation dans les couleurs.
Les rôles secondaires sont bien tenus et la prestation du corps de
ballet au premier puis au troisième acte se révèle
pleine d'attraits.
La soirée se voit malheureusement
ralentie par trois entractes d'une demi-heure chacun ! Une heure trente
sans musique ni théâtre ! La continuité de l'intrigue
en est sérieusement affectée... On croyait avoir supporté
le pire la veille, au Komische Oper, avec deux longs entractes au milieu
d'Alcina (en allemand). A ce compte, les spectateurs peuvent déguster,
pendant les pauses, entrée, plat et dessert ! Il n'est pas étonnant
de voir partir des spectateurs à chaque interruption. Notons enfin
que ces deux théâtres sont loin de faire salle comble : désintérêt
pour ces oeuvres, simple hasard du calendrier ou offre trop abondante dans
une capitale qui maintient ces trois maisons d'opéras de front ?
Aimez-vous les mélos ? Oui.
Interminables? Non...
Valéry FLEURQUIN