L'antique
capitale de Lorraine voit son dernier duc se retirer en Toscane, le roi
de France Louix XV pense alors à son beau-père Stanislas
Leszczynski chassé du trône de Pologne et languissant sous
les moustiques des pièces d'eau du château de Chambord. Le
souverain polonais occupera le trône vacant des ducs de Lorraine,
et à la mort de ce dernier, le duché sera rattaché
à la France... belle opération pour le roi. Mais en attendant,
le souverain polonais trouve le palais ducal de Nancy trop sombre et encaissé
et préfère s'en faire construire un autre, sur une place
magnifique à l'équilibre parfait... heureusement pour la
Ville de Nancy qui reçut ainsi ses plus beaux monuments. Dominant
déjà les lieux, pour ainsi dire, la statue de l'illustre
gendre Louis XV trône au milieu de la bien dénommée
Place Royale. La Révolution faisant canon de tout bronze laisse
le majestueux piédestal dépouillé et bien plus tard,
on réalisera à la hâte une statue de Stanislas et on
renommera la place en son honneur. En 2005, la Ville de Nancy, désireuse
de fêter dignement le deux cent cinquantième anniversaire
de cette somptueuse place inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, décide
de monter l'unique opéra connu aujourd'hui parlant de son dernier
duc de Lorraine.
L'Opéra de Nancy, somptueux
joyau alliant joliment rococo et Art nouveau, ayant le bonheur d'être
situé sur cette place-même, on réalisait avec stupeur,
lors de l'entracte, que par les portes-fenêtres ouvertes du vaste
foyer, on pouvait apercevoir le véritable Stanislas, tout en venant
de quitter le Finto Stanislao !
Un Giorno di regno n'avait probablement
plus été donné en France depuis la reprise (ou peut-être
la création ?), à Marseille, au mois de juillet 1985.
On a longtemps imputé l'échec
initial de l'oeuvre aux circonstances pénibles de la vie de Verdi,
connaissant au moment de la composition sa plus tragique période.
Il semblerait plutôt, à la lumière de chroniques de
l'époque, qu'une exécution globalement mauvaise soit responsable,
car lorsqu'on l'écoute sans à-priori, la musique de Verdi
ne pouvait que plaire au public. Certes, l'opéra-bouffe connaissait
ses derniers feux mais Verdi se coulait dans le moule tout en ajoutant
sa touche personnelle. Un brio, des manières de faire à la
Rossini, une chaleureuse tendresse donizettienne, mais déjà
toute la flamme et l'élan verdien et même certains "tics"
ou façons de faire bien à lui : ces petits "retours d'accords
orchestraux" au détour d'un air, ces péremptoires annonces
de thèmes de cabalettes, cette fougue n'appartenant qu'à
lui...
Dès l'attaque de l'ouverture,
on est pris dans un tourbillon voulu par le Maestro Carella qui coupe presque
le souffle aux chanteurs et en tous cas au public, dont les nombreux rappels
signalèrent l'enthousiasme. D'emblée on est saisi par l'autorité
du timbre grave et sonnant de Franck Ferrari, basse-baryton, donnant la
mesure de son état de roi de Pologne mais aussi des craintes et
des doutes du Cavaliere di Belfiore, devant cacher ses sentiments au risque
de voir s'éloigner celle qu'il aime.
Tout aussi bien installé dans
son rôle, Carlo Lepore, de sa voix agile de basse bouffe, campe un
habile Trésorier des États de Bretagne et porte bien son
nom signifiant "lièvre" en italien, car il sait biaiser pour aller
vers son intérêt... ou éluder le duel que veut lui
infliger le baron, outragé de voir sa fille repoussée. Ce
dernier est l'efficace Bruno De Simone, au timbre de baryton un peu plus
clair, diversifiant ainsi à merveille ce trio de voix masculines
graves, assemblé par l'Opéra de Nancy avec beaucoup de pertinence.
Elena Zhidkova impressionne dès
son entrée, par sa voix cuivrée et puissante emplissant l'espace
de la salle de l'Opéra ! Elle sait rendre les sentiments contrastés
de la marquise Del Poggio, tout en assumant les difficultés de la
ligne vocale, non ménagée par Verdi qui hérite ainsi
du soprano donizettien drammatico di agilità, c'est-à-dire
à la puissante et donc dramatique projection, mais capable d'exécuter
les ornementations.
Giuseppina Piunti, en timide Giulietta
di Kelbar, ne le cède pas en agilité à la marquise
et lorsqu'elle doit s'affirmer, comme dans la sympathique cabalette "Non
vo' quel vecchio : je ne veux pas de ce ìvieuxî", son timbre clair se plie
également aux difficiles vocalises émises plus en force.
Le ténor Giorgio Casciarri,
remplaçant au pied levé Carlo Ventre, nous avait déjà
impressionné dans l'émission télévisée
Prima della prima que consacre la RAI à la production d'un
opéra par un théâtre d'Italie. Emission sans rémission,
si l'on peut dire, car confrontant sans pitié, dans le cas d'une
distribution alternative, deux interprètes pour le même air.
Et dans cette Fille du régiment palermitaine, Giorgio Casciarri
alternait sans pâlir avec rien moins que Rockwell Blake ! Son Edoardo
di Sanval surprend par sa force et confère au personnage la chaleur
et la tendresse qui doivent l'animer. Si l'interprète connut quelques
difficultés avec la justesse dans sa cavatine, il se reprit avec
l'ineffable cabalette donizettienne qui suit, la couronnant dëun aigu qui
coupa le souffle à toute la salle.
Il faudrait ajouter un personnage de
plus à ces six solistes valeureux, et qui plus est se trouvait au
milieu d'eux en cette représentation de concert : le Maestro Giuliano
Carella, noble défenseur de l'opéra romantique italien, n'épargnant
aucun geste, aucune indication, pour faire vibrer comme personne, un Orchestre
Symphonique et Lyrique de Nancy, aux cordes incivives au possible, et aux
cuivres tellement... cuivrés (!), avantage si cher au coeur
de Verdi, trouvant que le son cuivré des instruments italiens était
inégalé. Ainsi rutilant et galvanisé, l'Orchestre
volait un peu la vedette aux corrects Choeurs de l'Opéra de Nancy,
un peu à l'écart au fond de la scène et pourtant valeureux
au point d'animer les Chorégies d'Orange !
Les rôles en retrait de l'écuyer
du faux Stanislas et du Commandant de Brest sont bien tenus, respectivement
par Pascal Desaux et Pierre Espiaut.
La présentation en concert ne
nuisait pas à la perception de l'oeuvre (la préservant plutôt
d'éventuelles malversations de mise en scène, chuchotait-on
durant l'entracte), d'autant que les surtitres étaient non seulement
nombreux mais reproposés selon les répétitions du
texte chanté, ce qui n'est pas toujours le cas. Le métier
et le bon goût des interprètes sut agréablement ajouter
mimiques et attitudes bienvenues et gentiment complices avec le public,
sans oublier quelques accessoires inattendus mais sympathiques, comme ces
contrats de mariages ou lettres roulés et fermés par un ruban
à la façon XVIIIe.
Un hommage insolite d'une Ville à
son historique bienfaiteur, et donc à elle-même, et une fort
belle et souriante conclusion de saison lyrique.