C O N C E R T S 
 
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ANVERS
16/04/05
Marina Mescheriakova
Giuseppe VERDI

Giovanna d'Arco
Drame lyrique en un prologue et trois actes (1845)

Musique de Giuseppe Verdi (1813 - 1901)
Livret de Temistocle Solera

Direction musicale : Silvio Varviso

Giovanna : Marina Mescheriakova
Carlo VII : Stefano Secco
Giacomo : Bruno Caproni
Talbot : Kurt Gysen
Delil : Eric Raes

Symfonisch Orkest Van De Vlaamse Opera

Koor Van de Vlaamse Opera Vocaal Collectief
Chef de choeur : Ceslo Antunes

Theaterplein, Anvers
16 avril 2005, 20h

Une Jeanne d'Arc sans apparat

Scandaleuse, la Jeanne d'Arc de Giuseppe Verdi tombe amoureuse de Charles VII puis se laisse accuser de sorcellerie par son père avant de mourir loin du bûcher sur le champ de bataille dans les bras de son amant. Avec un tel comportement, notre héroïne a beau tenter de masquer ses origines derrière son patronyme italien, elle peine à trouver grâce aux yeux et aux oreilles d'un public empreint de culture française. Crée en 1845 à Milan, elle ne fut représentée à Paris qu'en 1951. Pire, il lui a fallu attendre 160 années avant de faire ses premiers pas en Belgique, et encore, prudente, elle a préféré la Flandre, néerlandophone, à la Wallonie, francophone. Econome, elle s'est aussi privée pour l'occasion du luxe d'une mise en scène. C'est là son premier tort et aussi notre premier regret. Car Verdi et le théâtre sont indissociables. Sa musique a besoin de l'épreuve des planches pour donner toute sa mesure. Dans la salle moderne du Theaterplein d'Anvers, Giovanna d'Arco perd beaucoup de son charme "risorgimental", ce mélange de pulsion patriotique, de souffle épique qui surgit sur les cendres du bel canto romantique et constitue la marque de fabrique du Verdi des années de galère. Il lui manque le geste, le glaive et la pourpre.

Outre son livret, l'oeuvre souffre d'une inspiration disparate qui alterne joyeusement pages ronflantes et passages sublimes. Dans la première catégorie, on range la plupart des interventions du choeur avec, pour meilleur exemple, celle des esprits diaboliques, "Tu sei bella", surtout quand elle est accompagnée comme ici d'un mauvais harmonium. En revanche, on applaudit le concertato du deuxième acte, la mort de Giovanna qui n'est pas sans rappeler celle d'Abigaille ou le duo d'amour "Dunque O cruda", lointain cousin du "Parigi O Cara" de La Traviata. Tout au long de la soirée, on s'amuse d'ailleurs à reconnaître dans le septième opéra du maître de Busseto les prémices des ouvrages futurs, la parenté la plus flagrante restant celle entre l'introduction du premier acte et le "Dies Irae" du Requiem. Plus généralement, on trouve au rôle titre beaucoup d'attraits ; certains vont d'ailleurs jusqu'à le considérer comme le plus beau portrait de femme qu'ait tracé Verdi avant Violetta ; c'est oublier un peu rapidement Lady Macbeth, Gilda ou Leonora.

Il n'en demeure pas moins que, pour se satisfaire d'une simple version de concert, l'oeuvre demande des interprètes exceptionnels. Elle doit d'ailleurs ses dernières résurrections à des artistes de l'envergure de Renata Tebaldi, la jeune Katia Ricciarelli ou Montserrat Caballé. La distribution réunie ici ne se situe pas à ce niveau.

La pucelle d'Orléans qu'incarne Marina Mescheriakova est plus vierge que guerrière. L'élégie la trouve à son aise ; les inflexions angéliques de "Sempre all'alba" et "Fatidica foresta" lui offrent par exemple l'occasion de filer pianissimo de superbes notes aigues. Elle finit par en abuser au point d'oublier les forte que comporte aussi la partition. Et l'énergie, le mordant lui font cruellement défaut ; le trio du prologue "Son guerriera", le duo avec Carlos déjà mentionné, celui avec Giacomo au dernier acte "Or dal padre benedetta", déjà handicapés par l'absence de mise en scène, perdent définitivement leur impact dramatique. Pour la petite histoire, les Parisiens la retrouveront à l'Opéra Bastille la saison prochaine dans la deuxième distribution de La Bohème. Elle chantera Mimi auprès de celui qui, sous un autre nom ce soir, brûle déjà d'amour pour elle : Stefano Secco. Car le ténor italien s'installe aussi à Paris en 2006. Outre Rodolfo, il interprètera Gabriele Adorno dans la nouvelle production de Simon Boccanegra. On reste dubitatif quant à la capacité de cette voix légère à remplir le grand hangar de la Bastille. A Anvers, son Carlo est frère du duc de Mantoue, séduisant, le timbre clair, l'aigu percutant, amoureux éperdu plutôt qu'amant heureux, très peu roi de France et encore moins soldat. Privé d'héroïsme, il donne le meilleur de lui-même dans les cavatines "Sotto una quercia" et surtout "Quale piu fido amico" au dernier acte qui lui vaut une belle ovation.

L'émission engorgée, affligé de surcroît d'un violent vibrato, Bruno Caproni ne parvient pas à imposer la silhouette de Giacomo. A sa décharge, il faut avouer que le personnage n'est pas facile ; aveugle, borné, il fait figure de parent pauvre au milieu des autres pères verdiens. Monochrome et terne dans son premier air "Franco io son", le baryton intervient heureusement avec plus d'intensité dans la scène du sacre mais les défauts demeurent.

D'une partition à l'orchestration recherchée, Silvio Varviso trouve la juste dynamique malgré la sécheresse de l'orchestre du Vlaamse Opera. Mais s'il réussit à éviter l'écueil de la vulgarité, il ne peut empêcher que les choeurs, imprécis, voire scolaires, ne compromettent souvent la qualité de l'ensemble.

La représentation intervient alors que le ministre flamand de la culture, Bert Anciaux, envisage, vraisemblablement pour des raisons financières, une fusion de l'orchestre de l'Opéra avec les deux autres ensembles symphoniques de Flandre : la Philharmonie d'Anvers et l'orchestre du Vlaams Radio de Louvain. Ce projet suscite une première intervention de deux manifestants au début du spectacle et surtout une longue diatribe de Silvio Varviso à la fin du concert. Il est difficile d'en comprendre le sens quand on ne parle pas la langue, mais il semble que la nouvelle ne réjouisse ni les musiciens, ni le public. En attendant, l'agitation qu'elle provoque empêche les chanteurs de venir saluer individuellement (ce qui, en même temps, nous prive de l'applaudimètre) et dispense Marina Mescheriakova de la traditionnelle gerbe de fleurs. Si restrictions budgétaires il faut prévoir, c'est au bout du compte pousser un peu loin le souci d'économies.
 
 

Christophe RIZOUD
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