C O N C E R T S
 
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BERNE
28/09/2004

Maria Riccarda Wesseling (Giulio Cesare), Tatjana Monogarova (Cleopatra)
Photo Edouard Rieben
Georg Friederich Händel (1685-1759)

Giulio Cesare in Egitto

Opéra en trois actes
Livret de Nicola Haym

Nouvelle production

Martin Oro (Giulio Cesare),
Tatjana Monogarova (Cleopatra),
Robin Adams (Tolomeo),
Renée Morloc (Cornelia),
Katharina Peetz (Sesto),
Richard Ackermann (Achilla),
Susannah Haberfeld (Nireno).

Andreas Spering, direction musicale
Jakob Peters-Messer, mise en scène 
Christoph Wagenknecht, décors 
Sven Bindseil, costumes 
Lech-Rudolf Gorywoda, chef de choeur 

Chor des Stadttheaters Bern
Berner Symphonie Orchester

Berne, 28 septembre 2004



Jules César décapité

Monter Giulio Cesare in Egitto avec une troupe demande certains aménagements qui peuvent choquer le monde inflexible des traditionalistes du baroque. Il ne faut pas trop espérer réunir toutes les voix adaptées aux exigences des partitions telles qu'elles sont aujourd'hui servies par le disque. Faut-il pour autant renoncer à montrer une oeuvre aussi magistrale ? Avec courage et talent, la direction artistique de l'opéra de Berne a relevé le défi. Un seul rôle n'a pu être distribué dans la tessiture originale : Tolomeo s'est vu attribuer à un baryton au lieu de la mezzo-soprano normalement prévue. 

Donc, tout pouvait aller pour le mieux si... la grippe ne s'était mêlée de l'affaire ! Depuis la première représentation, Sesto était aphone jouant "en muet" son rôle sur scène. Une collègue accourue en catastrophe de l'Opéra de Zurich remplaçait la voix défaillante depuis la fosse d'orchestre. A la troisième représentation, la fièvre eut raison de la titulaire et sa remplaçante fut hissée sur les planches. Ouf ! Sauvés. Mais comme un malheur n'arrive jamais seul, l'ultime catastrophe s'annonçait. Pas moins que le rôle-titre, la mezzo Carla Maria Wesseling, était à son tour terrassée par la grippe ! Trouver un Giulio Cesare libre est une gageure que le StadttheaterBern a relevé miraculeusement en la personne du contre-ténor argentin Martin Oro, qui s'est libéré en l'espace d'une journée pour répondre aux exigences du rôle. Devant l'impossibilité de le mettre en confiance avec la mise en scène et de lui tailler un costume, c'est l'assistante du metteur en scène qui assuma le rôle "muet" du consul et dictateur dont la voix s'élevait des pupitres de l'orchestre.

Autre aménagement à faire hurler les inconditionnels, le livret "bernois" a été tronqué de neuf scènes sur les quarante que compte l'oeuvre originale. Ces mutilations, si elles privent l'auditeur d'airs admirables, ne gênent pourtant pas la compréhension ni le déroulement de l'intrigue.

Un temple dont l'imposante structure s'enfonce peu à peu dans un parterre de quelques dunes de sable forme le décor (Christoph Wagenknecht). Complice de l'inexorable enfermement des personnages, entre les murs et les colonnes de l'imposante bâtisse recouverts de graffitis et d'inscriptions touristiques récentes, un fauteuil et deux chaises Louis XV servent d'uniques accessoires scéniques. Un " Où est passé mon appareil de photo " côtoyant " Madonna you're great " et autres inscriptions en caractères cyrilliques témoignent d'un tourisme de masse récent. Dans ce monde hétéroclite, l'intemporalité est soulignée avec les personnages égyptiens de l'opéra qui apparaissant dans des costumes (Sven Bindseil) d'une Egypte ancienne relookée à la mode actuelle alors que les Romains sont vêtus de complets vestons assimilables à ceux des mafiosi des années trente. 


Robin Adams (Tolomeo), Richard Ackermann (Achilla),
Maria Riccarda Wesseling (Giulio Cesare)
Photo Edouard Rieben

Dans sa mise en scène, Jakob Peters-Messer se limite à des images simples et efficaces. Les dialogues amoureux ou guerriers sont habités par la présence incessante de Pompée (rôle muet) assassiné, sortant de sa tombe et traversant régulièrement les espaces scéniques. Cette présence fantomatique continuelle pourrait devenir lassante si le metteur en scène allemand n'assaisonnait pas son discours de quelques pointes d'ironie et d'humour. Ainsi cette Cléopâtre charmeuse qui se présente à César comme une star hollywoodienne, parodiant la langoureuse Elizabeth Taylor face à Richard Burton dans le célèbre péplum de Joseph L. Mankiewicz tourné en 1963. Une mise en scène vivante qui porte les protagonistes vers un divertissement bienvenu et réconfortant malgré les problèmes inhérents à la distribution.

Si certaines scènes laissent transparaître la crispation des "nouveaux" chanteurs et acteurs improvisés, musicalement cette production révèle de superbes talents. A commencer par la superbe Cléopâtre de Tatjana Monogarova. La soprano russe campe un personnage empreint d'un lyrisme admirable. A l'héroïne transie d'amour, la jeune moscovite prête une voix aux couleurs automnales. Si les mélodies de Piangerò la sorte mia et de Tra stuol di damigelle sont éminemment porteuses, l'artiste sait magnifiquement jouer de son instrument pour capter l'auditoire avec quelques notes filées. Sous le charme, nous sommes tous César ! Autre figure expressive de cette distribution, la mezzo soprano Renée Morloc (Cornelia) est touchante de simplicité dans l'expression de sa douleur de veuve. La voix est conduite avec retenue et majesté et quelle sublime tristesse dans Priva son d'ogni conforto ! La classe d'un texte, d'une musique et d'une chanteuse. Si le baryton Robin Adams (Tolomeo) incarne avec talent un personnage détestable à souhait, son impeccable technique vocale lui permet de survoler aisément un rôle qui ne semble toutefois pas convenir à son tempérament. De son côté, la basse Richard Ackermann (Achilla) paraît se libérer progressivement des accents parfois frustres qui caractérisaient d'abord son chant à la faveur d'une ligne d'une grande musicalité. Moins heureuse, la prestation de la soprano Katharina Peetz (Sesto), dont la voix est souvent courte. Angoisses d'une première montée sur scène ?

Dans le rôle-titre, vu les circonstances de son engagement, le contre-ténor Martin Oro (Giulio Cesare) tire admirablement son épingle du jeu. Depuis la fosse d'orchestre, il projette sa voix dans l'espace du théâtre bernois sans la moindre faiblesse. Certes, le décalage avec son "concertant" et avec la scène déstabilise le spectateur qui entend mais ne voit pas chanter. On peut imaginer qu'au milieu de l'orchestre, les yeux voyageant du chef à la partition, de la partition à la scène, de la scène au chef, il ne lui reste que peu d'espace pour amorcer une réelle interprétation et caractérisation du personnage. Mais le son, le ton sont là. Quand il s'engage dans le sublime air Va tacito e nascosto, accompagné par l'exceptionnel corniste Olivier Darbellay, le contre-ténor argentin s'envole vers la perfection.

Une mention encore au chef Andreas Spering, qui sait tirer du Berner Symphonie Orchester une verve et des accents baroques auxquels l'ensemble est pourtant peu habitué. Ce n'est certes pas la dynamique et la fougue d'un Minkowski ou d'un Jacobs, mais l'ensemble est plaisant et remarquablement précis.

En définitive, malgré la décapitation des protagonistes de cette production, la troupe du Stadttheater a répondu avec talent à l'adage : "The show must go on". Cet engagement généreux excuse largement les quelques imperfections relevées.
 
 
 

Jacques SCHMITT

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Prochaines représentations : les 13, 15, 26, 31 octobre et 6 novembre 2004

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