Le cycle s'achève à
Genève et ce sont tous les épisodes passés qui nous
reviennent au vu de ce Crépuscule des Dieux brillant par
son aboutissement. Rien dans la représentation qu'il nous a été
donné de voir n'appelle de vils sarcasmes, la soirée fut
tout simplement magique ! Et c'est transi d'une plénitude toute
musicale qu'au bout de quatre heures et demie de musique, nous nous résignons
à quitter la salle où le sort du Monde et des Dieux s'est
décidé.
La plateau vocal est resplendissant,
d'une homogénéité rare, dominé par un Kurt
Rydl (Hagen) profond, noir et démoniaque et par Elizabeth Withehouse
(Gutrune), qui fait de sa prise de rôle un des grands moments de
la soirée. La voix est sûre, maîtrisée de bout
en bout tout au long de la tessiture, l'actrice est intelligente et la
musicienne, talentueuse, finit d'achever le tableau d'un personnage déjà
très abouti ! On retrouve avec bonheur le Siegfried de Stig Andersen,
toujours aussi touchant dans sa gaucherie et sa maladresse, le timbre est
vaillant et le guerrier téméraire, tout juste endommagé
par une petite fatigue en fin de deuxième acte. Gabriele Maria Ronge
campe une Brünnhilde bafouée qui se jette corps et âme
dans son combat de femme ; la voix souffre parfois d'un vibrato
un peu trop large, mais l'engagement physique et moral ainsi que les grandes
capacités de la chanteuse permettent de déjouer les nombreuses
difficultés du rôle, à commencer par tenir la longueur
du drame sans jamais défaillir. Gunter Roth (également en
prise de rôle : Gunter) est très à l'aise dans son
opposition à Siegfried, l'acteur et la voix sont indéniablement
ceux du rôle, là aussi montrant la qualité de la distribution.
Chez les femmes, on note la présence d'Alexia Cousin, se confrontant
doucement au répertoire wagnérien et à l'entendre
(très à l'aise avec le chef et protégée par
la très présente Hanna Schaer qui fut une splendide Geneviève
à ses côtés) on ose imaginer d'ici quelques saisons
quelle belle Senta elle pourrait faire vivre du haut de ses vingt et quelques
années !
Patrice Caurier et Moshe Leiser achèvent
leur Ring dans une atmosphère de bas-fonds et de mégalopole
détruite. Eux aussi sont les garants de la constante cohésion
d'une histoire dont on sait qu'elle est loin d'être évidente.
Jamais ils n'ont sombré dans le piège de la superproduction
ni dans celui du folklore germanique. Ces Dieux qu'ils nous ont assassinés
aujourd'hui pourraient aussi bien être les nôtres. De la même
manière, cette société mourant de ses mythes fondateurs
est bien trop réelle dans leur vision pour qu'on ne s'empêche
de penser un peu à nous et au monde qui nous entoure (vous avez
dit crise du Millénaire ?)
Quatre heures trente de bonheur ! C'est
une ovation, on ne peut plus méritée, qui attendait ce soir
là le grand triomphateur de la soirée. Armin Jordan à
la tête de l'Orchestre qu'il a longtemps dirigé, nous livre
une vision d'une limpidité frappante. La simplicité étonnante
avec laquelle cette musique, riche de sens et de discours orchestral, nous
parvient montre à quel point ce chef a su (tout au long du cycle)
articuler les motifs, faire vivre les personnages et laisser respirer l'orchestre
! Sans aucune emphase superflue, la musique de Wagner nous paraît
d'une rare évidence, et ce soir, la mort de Siegfried a sonné
dans la salle comme une tonitruante monstruosité : le rythme cardiaque
s'accélérant et la chair de poule aidant, c'est une grande
claque de théâtre que ce maestro nous a donné
!
Non, ce Dieu là n'est pas encore
au crépuscule de sa vie, et nous oserions rêver qu'un jour,
cette production du Ring soit filée dans son intégralité,
avec les mêmes dans les mêmes emplois, tant ils nous ont donné
de choses à voir et entendre, et tant nous avons rêvé
à ces destinées là !
Loïc Lachenal