Une nouvelle
production du Comte de Luxembourg faisait la rentrée du fameux
Volksoper. Soir de "Première" dans ce joli théâtre,
avant tout temple de l'opérette, tandis que le Staatsoper présentait
à guichets fermés le Guillaume Tell de Rossini avec
Iano Tamar et Thomas Hampson (fort ennuyeux et routinier spectacle m'a
t-on rapporté là-bas). Créée le 12 novembre
1909 au Theater an der Wien, suivant ainsi de quatre années La veuve
joyeuse, cette "opérette de salon" commence comme La Bohème
de Puccini que Lehar avait vu à Vienne dans ce même théâtre
en 1896. Appartement bohème dans le Paris 1900, où se croisent
des artistes désargentés, on attend d'un instant à
l'autre l'entrée de Mimi avec sa chandelle... mais ce sera Angelika,
une meneuse de revue tout aussi timide pourtant.
L'histoire est simple : à Paris,
un Consul russe, riche et marié propose à un jeune écrivain
oisif et fauché, René Graf connu sous le nom "Comte de Luxembourg
", une forte somme d'argent pour faire semblant d'épouser pour 30
heures une jeune chanteuse légère, Angelika. Seule contrainte,
René doit se marier sans voir, ni connaître sa promise. Vous
l'aurez compris, le Consul est amoureux de la jeune artiste, et elle, rêve
d'un mariage aristocratique lui assurant l'aisance financière. Tout
se passe comme prévu, mais rapidement les deux jeunes gens se rencontrent
sans savoir qu'ils sont "les mariés de 30 heures ", et tombent amoureux.
Après quelques légères péripéties, le
Consul est rattrapé par son impétueuse épouse, et
les amants sont libres de s'épouser pour de vrai à condition
de rendre l'argent... Comédie douce amère sans rebondissements
majeurs, mais cynique à souhait, il faut aux metteurs en scène
bien des idées pour donner vie et pétillement à cette
intrigue tirée par les cheveux.
La musique de Lehar n'est pas non plus
des plus inspirée pour une opérette et hésite entre
le mélodique traditionnel façon J.Strauss et la conversation
en musique. Il y a un joli thème de valse leitmotiv, mais somme
toute très peu exploité. On sent l'influence de Kalman mais
aussi de Puccini, influences très filtrées par Lehar, comme
s'il hésitait. La musique est vraiment raffinée (trop ?)
mais traitant un sujet si "léger", on comprend que cette ouvrage
n'ait pas rencontré le succès permanent de La veuve joyeuse
et du Pays du sourire. On trouve de vraies "scènes" de
réflexion intime que Richard Strauss a su si bien mettre en musique
dans Capriccio ou Rosenkavalier, mais l'opérette ne
se prête guère à ce genre de traitement. F. Lehar aurait
peut-être dû s'essayer à l'opéra...
Cette impression de faiblesse de l'oeuvre
est peut-être due aux interprètes, corrects mais sans charismes
à deux exceptions près. Deux exceptions qui ont pour nom
Heinz Zednik et Regula Rosin, le Consul et son épouse. On a en mémoire
Zednik dans le Ring de Boulez/Chéreau à Bayreuth il y a déjà
trente ans, où il interprétait Mime et Loge. Si la voix n'est
plus là, la présence reste intacte. Très à
l'aise (excellent danseur), drôle sans pousser trop loin la pitrerie,
il fait penser à Allan Alda, l'acteur fétiche de Woody Allen.
On attend ses interventions avec impatience tout le long de la soirée,
car à chaque fois il repousse tous les protagonistes au second plan.
Il ne doit céder le premier plan qu'à Regula Rosin, arrivant
hélas en fin d'ouvrage. Sortie d'un film de Fassbinder, et rappelant
Lotte Lenya ou Reese Stevens dans Lady in the dark de Kurt Weill, Regula
Rosin avec une voix grave cassée, parlant plus qu'elle ne chante,
et un véritable bonheur pour les amateurs de bon music-hall. Vraie
bête de scène, drôle sans jamais être vulgaire,
elle déclenche l'enthousiasme du public.
Les autres interprètes sont
plus jeunes certes, mais sans ce don de "brûler les planches" si
nécessaire à ce type d'ouvrage. Akiko Nakajima possède
un très joli médium (très viennois), mais l'aigu est
hélas fort laid, strident et au vibrato serré. Le jeu est
sobre -trop par moment-, sa diction fort bonne, son élégance
relativement convaincante, mais aucun panache n'en fait l'héroïne
attendue. On pense à Anneliese Rothenberger, non sans regrets...
Miljenko Turk est plus à l'aise -quoiqu'il fasse sa première
apparition au Volksoper- avec une voix de baryton martin agréable
et un jeu très convaincant. Sans doute meilleur que sa comparse,
on sent qu'il a une habitude de ce répertoire. Son air débonnaire,
un peu poupon, force la sympathie même s'il ne fera tomber aucune
dame du public en pâmoison. Les deux "amis" Manfred (Eugene Amesmann),
Julie (Natalie Karl), dans les rôles miroirs comiques des deux héros
sont de qualité, avec mention spéciale pour Natalie Karl,
assez drôle et sachant capter le public. Le reste de la distribution
(fort longue) n'attire aucun commentaire, sinon le concierge sympathique
de Gerhard Ernst.
Le choeur et l'orchestre sont vraiment
excellents, mais le bon succès de la soirée repose en grande
partie sur la mise en scène et le décor, présentés
pour la première fois (il s'agit d'une nouvelle production). Pour
faciliter le passage d'une scène à l'autre le décor
tourne, ce qui permet un suivi quasi cinématographique de l'action.
Se déroulant dans les années 40, sans le clinquant habituel
de l'opérette, un vrai souci de qualité (rien de révolutionnaire)
a conduit le travail de Michael Schottenberg. La rapidité du rythme
de sa mise en scène compense à bien des endroits les faiblesses
du livret. Ainsi la coupure opérée par M. Schottenberg au
milieu du second acte pour l'entracte est assez réussie, puisqu'il
reprend la seconde partie au milieu de l'action interrompue en la "rembobinant"
de deux minutes. Seuls les costumes de Susa Meyer sont un peu en dessous.
En somme, une jolie représentation
à laquelle il aura manqué seulement deux jeunes stars...
Mais l'opérette attire t-elle encore les jeunes chanteurs doués
?
Jean VERNE