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VERSAILLES
14/12/2006
© DR
André Ernest Modeste Grétry (1741-1813)
Les Trois Âges de l'Opéra
Prologue (1778)
Livret d'Anne-Pierre-Jacques Devismes du Valgay (1745-1819)
Airs et suites d'opéras
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sophie Daneman, Terpsichore (soprano)
Delphine Gillot, Polymnie (soprano)
Hjordis Thébault, Melpomène (soprano)
James Oxley, le Génie de l'Opéra (ténor)
Alain Buet, Rameau (baryton)
Renaud Delaigue, Lully (basse)
La Grande Écurie et la Chambre du Roy
Chœur de Chambre de Namur
Direction : Jean-Claude Malgoire
Chorégraphie et mise en espace : Compagnie Roussat / Lubek
Eclairages : Jacky Lautem
Jeudi 14 décembre, Opéra Royal, Versailles
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Versailles en folie !
Est-ce le caractère naturel et jovial de Jean-Claude
Malgoire ? Le fait qu’il s’agisse du concert de
clôture de cet Automne musical versaillais ? A moins que
l’adorable champagne servi à
l’entracte n’y soit pour quelque chose ?
Quoiqu’il en soit, jamais le noble ovale de Gabriel n’aura
passé de nuit si agitée.
La soirée commençait pourtant ordinairement : la
foule baroque, en grande tenue, rejoint ses places
numérotées, guidée par
d’élégantes ouvreuses. Arrive le directeur
général du Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV)
qui déclame noblement son discours devant le grand rideau de
scène aux armes de France, remerciant les mélomanes, et
leur donnant rendez-vous pour les fastes de l’année
prochaine. Applaudissements. Exeunt. Extinction des feux et frisson
d’impatience du public.
L’Ouverture des Trois Ages de l’Opéra de
Grétry résonne. La Grande Ecurie et la Chambre du Roi
déçoit vite par un jeu étriqué et sec,
assez mécanique, manquant à la fois de conviction et
d’ampleur, en dépit de l’excellente acoustique du
lieu. Heureusement, sur scène, le nouveau décor - assez
réussi quoiqu’un peu mièvre et sans grandeur - nous
plonge immédiatement dans de verdoyants bocages de
carton-pâte encerclant un petit temple antique, le tout
inspiré des esquisses fin XVIIIème de Pierre-Adrien
Pâris conservées aux Archives nationales. L’on
admire la transparence éthérée de la peinture
à la détrempe.
Hélas, si Grétry rend hommage dans ce Prologue
aux œuvres de Lully, Rameau et Gluck qu’il parodie en les
agrémentant de quelques unes de ses compositions, son travail
maladroit de réécriture des parties orchestrales
dénote l’évolution du goût vers le
classicisme et une incompréhension totale de
l’esthétique de ses glorieux prédécesseurs.
L’orchestre à la française avec son alchimie
subtile de cordes et de bois n’est plus qu’un lointain
souvenir, de même que la basse continue nourrie que
réclame les œuvres du Surintendant.
Est-ce la faute de la partition, ou de son exécution ? A
première vue, la situation est quasi
désespérée : l’orchestre maigrelet
s’applique (notamment à submerger les solistes), alors que
les chanteurs débitent leurs mesures à pleine voix et
bouleversent la soi-disant aridité des récitatifs par des
ornements qui en dénaturent l’intelligibilité, sans
même mentionner un Génie de l’Opéra aux aigus
criards. Pendant ce temps, Lully se dandine en rhingrave à
rubans et agite sa canne, Rameau en justaucorps gris-bleu semble
chercher le chemin des coulisses, les Muses sourient béatement
dans des poses figées qui confinent au ridicule. Un duo de
bergères esquissant de gracieux pas de danse baroque nous sauve
de l’ennui. Les spectateurs sont alors divisés :
certains, ravis, croient reconnaître dans cet ensemble
décoratif et plat un retour aux majestueuses sources de
l’Ancien Régime. D’autres se demandent si cet
étalage douceâtre et ennuyeux, si exagéré
qu’il en devient caricatural, ne doit pas être jugé
à l’aune de la seconde partie du concert, à savoir
des extraits d’Alceste, des Indes Galantes et d’Iphigénie en Tauride des trois compositeurs précités.
Après l’entracte, nous revoilà donc stoïque,
perplexe et fidèle au poste, prêt à endurer la
suite de ces approximations brouillonnes. Et là, miracle de la
sublime coupe de champagne, les larges extraits de l’acte
infernal d’Alceste de
Lully, œuvre fétiche de Malgoire, récupèrent
soudainement leurs couleurs chatoyantes, l’orchestre sa
profondeur et sa souplesse. La métamorphose se poursuit sur
scène : le Caron/Pluton de Renaud Delaigue affiche un bel
aplomb ainsi que de beaux graves, en dépit d’une
émission instable. Alain Buet laisse entrevoir un chant
nuancé et une grande attention à la prosodie dans un
extrait hélas trop court de la Fête du Soleil des Incas,
tandis que Hjördis Thébault triomphe dans le fameux air de
désespoir « O malheureuse
Iphigénie » de Gluck, seul véritable moment
d’émotion de cette soirée. En revanche, le
Chœur de Chambre de Namur s’est montré très
inégal : imprécis et pâteux chez Grétry
et Lully, plus cohérent chez Rameau.
Enfin, la mise en scène délurée de cette
deuxième partie ne laisse plus planer aucun doute sur ce
qui restera dans les mémoires comme le canular de Noël du
CMBV. Après le minimalisme austère (Caron en costume noir
avec une fourche devant un écran noir) ou la poésie
acrobatique (squelette dansant, jeune fille grimpant sur une corde pour
lâcher des paillettes dorées symbolisant le soleil), la
Chaconne d’Idoménée
de Mozart se transforme en salmigondis burlesque indescriptible. Jamais
plus vous n’écouterez le Viennois avec les mêmes
oreilles : se succèdent à un rythme
effréné des nageuses poursuivies par un requin, un
cycliste, une trottinette, des ours (?) bien joyeux, et un quatuor
digne des Marx Brothers.
Après cette bouffée rafraîchissante qui conclut un
concert auquel on reprochera la fragmentation et l’absence de
drame, nous sommes tout à fait d’accord avec une
très honorable spectatrice qui étouffait
d’indignation : « C’est tout à fait
scandaleux ! Et à Versaaaaaaaaaaaaaailles !
». Mais il faut bien avouer qu’on ressent un plaisir simple
à s’encanailler dans un tel lieu, à retrouver un
sourire d’enfant en écoutant du Rameau, et à
renouer avec les plaisirs du cirque à l’Opéra
royal. Et cette joie juvénile, cela n’a pas de prix.
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