On ne présente plus Thomas
Hampson aux amateurs d'opéra : une des plus belle voix de baryton
qu'on puisse rêver, un timbre chaud, riche de toutes les couleurs
en même temps, particulièrement homogène, une aisance
dans tous les registres de la voix, une diction impeccable, mais aussi
un physique impressionnant font de lui un très grand chanteur, dans
tous les sens du terme.
Mais il est des qualités qui
ne ressortent qu'en récital : la faculté de capter l'attention
du public par le texte, l'art de composer un programme cultivé -
la soirée est placée sur le thème de la rencontre
entre l'Europe et l'Amérique -, hors des sentiers battus, une façon
personnelle de le défendre ; c'est le musicien Hampson plus encore
que le chanteur qui se sont exprimés ce jeudi soir, à l'invitation
du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, associé pour la circonstance
au Théâtre de la Monnaie.
Commençant avec audace par
quelques lieder de Wolf sur des textes de Möricke, le baryton s'attaque
d'emblée au plus difficile : intériorité confrontée
à une écriture infiniment complexe dans une forme concentrée
à l'extrême, l'art de Wolf, tout en retenue et en nuances,
se prête mal à une grande salle, et sans doute aussi à
un début de récital. Le discours passe difficilement la rampe,
le chanteur est déconcentré, l'auditeur doit aller chercher
lui-même dans cette musique touffue quelques moments sublimes. Liszt
qui vient ensuite, plus objectif, plus spontané et plus lyrique,
convient mieux au chanteur et à son pianiste, il leur donne l'occasion
de très belles envolées lyriques.
Après la pose, place à
Walt Whitman, dont la poésie élégante et distanciée
fut mise en musique par différents compositeurs principalement américains
(mais dont l'inspiration reste encore essentiellement rattachée
à la culture européenne) réunis ici pour le plus grand
plaisir de la découverte. On sent Hampson particulièrement
heureux dans ce répertoire, à la fois subtil et généreux
dans son interprétation, suivi par un pianiste attentif et précis.
Suivent encore quelques "traditionnals" arrangés par Shaw, White
ou Copland, cette fois-ci au coeur de l'Amérique profonde. On sort
du concert plus cultivé et plus intelligent qu'on y était
entré, en contact avec l'essence des choses, au coeur du sujet.
Lors d'une brève rencontre
après le concert, Hampson nous parle de la fondation qu'il a créée
il y a peu, et dont le but premier est la défense du répertoire
du chant, miroir de l'humanité. Il y met beaucoup de passion, une
très belle conviction, et, citant Emerson, rappelle au passage quelques
vérités indispensables sur le sens de l'art et sa place dans
la vie. A consulter sur www.hampsong.com.
Claude JOTTRAND