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RENNES
28/12/2007
© Laurent Guizard
Franz-Josef Haydn (1732-1809)
Il Mondo della Luna
Opéra en 3 actes d’après l’œuvre de Carlo Goldoni (1777)
Mise en scène : Yoshi Oïda
Assistante à la mise en scène, chorégraphie : Caroline Marcadé
Scénographie : Tom Schenk
Costumes : Antoine Kruk
Lumières : Françoise Michel
Avec :
Simon Edwards : Ecclitico
Nigel Smith : Buonafede
Delphine Galou : Ernesto
Bénédicte Tauran : Clarice
Mélanie Boisvert : Flaminia
Louise Callinan : Lisetta
Matthias Vidal : Cecco
Comédiens-danseurs : Vincent Coppin, Samuel Vittoz
Orchestre de Bretagne (clavecin : Muriel Bérard)
Direction musicale : Jean-François Verdier
Rennes, Opéra, le 28 décembre
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Un billet pour la Lune
Buonafede est sévère et naïf.
Sévère : il refuse que ses filles (Flaminia et
Clarice, respectivement éprises d’Ernesto et
d’Ecclitco) se marient, tout en désapprouvant farouchement
l’union entre Lisetta (sa servante, dont il est amoureux) et
Cecco (le serviteur d’Ernesto). Naïf : quand Ecclitico
lui dit qu’il a inventé un télescope permettant
d’observer de très près les habitants de la Lune,
il le croit. Ce dernier lui propose alors un voyage sur la Lune,
qu’il accepte volontiers. Une fois dissipés les effets du
puissant somnifère qu’on lui a administré,
Buonafede se réveille dans son jardin, transformé en
paysage lunaire suffisamment vraisemblable pour qu’il se croit
arrivé sur notre satellite. Il y fait notamment la connaissance
du Grand Empereur de la Lune, Cecco déguisé, à qui
il offre en mariage sa servante Lisetta (et de un !), cède
ses filles à leurs amoureux (et de deux !), et confie
à Ecclitico la clef de sa cassette terrestre pour la dot (et de
trois !). Il se rend compte du pot-au-rose, mais il pardonne, et
tutto va bene. Même si elle ne se déroule que sur une
fausse Lune, peuplée par de faux sélénites, cette
pièce doit beaucoup à son côté fantastique,
qui pimente largement ce qui n’aurait pu être qu’une
intrigue amoureuse parmi d’autres, dans le théâtre
et l’opéra de la fin du XVIIIème siècle.
Côté musique, on s’aperçoit clairement que
Haydn n’entretenait pas avec l’opéra les mêmes
infinités qu’avec le quatuor à cordes, la
symphonie, ou même l’oratorio. Il y a d’un
côté les récitatifs, uniquement secco,
théâtre (presque) sans musique, et il y a les airs,
souvent agréables, parfois superbes (« Ragion
nell’alma siede », de Flaminia, « Vado
vado, volo volo » au final du I, « Quanto
gente » de Clarice,…), mais presque tous assez
dénués de veine dramatique.
Face à une telle œuvre, Yoshi Oïda
n’a guère le choix : ce sont les récitatifs
qui nous en disent long sur les relations entre les personnages, sur la
dramaturgie, sur la psychologie, et les airs sont
réalisés comme une série de clips, presque
indépendants de l’action. Le metteur en scène
japonais, qui assume parfaitement cette forme invariable, est
aidé par des décors, des costumes et des lumières
splendides, rivalisant d’inventivité et de fantaisie au
II, lorsqu’il s’agit de représenter un paysage
lunaire. Plusieurs passages (les balançoires des deux
sœurs au I, la Lune qui s’enflamme au final du I, la salle
qui s’allume au II alors que « le Grand Empereur
lunaire » se moque des défauts des humains,…)
sont de grandes réussites visuelles, d’une poésie
sensible et fantasque.
Et ce spectacle a un autre avantage : il transcende les chanteurs. Tous
ne sont pas parfaits : la voix de Simon Edwards est
altérée par un vibrato qui gêne le passage des différents registres, Mathias Vidal,
en dépit d’une truculence délectable, ne parvient
pas toujours à faire oublier une ligne de chant un peu raide, Louise Callinan,
qui mise elle aussi sur son abattage scénique, ne maîtrise
pas encore la totalité de sa tessiture… mais tous se
hissent à un niveau de compréhension de
l’œuvre en général, et de leurs personnages
en particulier, qui a rarement été atteint. Les
prestations exemplaires de Nigel Smith (Buonafede sonore de la plus exemplaire veine buffa), Delphine Galou (Ernesto d’une féline élégance), Mélanie Boisvert (excellente soprano léger !) et Bénédicte Tauran
(voix ronde et homogène, actrice investie), malgré leurs
qualités individuelles, se fondent à merveille dans cet
« esprit de groupe » qui domine la soirée,
rendant justice à une œuvre qui ne demande pas mieux !
© Laurent Guizard
Arbitre attentif et dynamique de cet esprit de groupe, Jean-François Verdier
apporte tout sont savoir-faire de clarinettiste à des bois et
des cuivres qui n’avaient jamais sonné si juste, et si
beau. A l’impossible nul n’est tenu : les cordes de
l’Orchestre de Bretagne restent plutôt sèches. Mais
cette direction, qui apporte sécurité et confort à
une équipe surtout composée de jeunes chanteurs, est,
à l’image globale de ce spectacle, exemplaire.
« Il Mondo della Luna » selon Yoshi Oïda,
c’est une coproduction, qui sera bientôt jouée
à Nantes (les 10, 11, 13, 15, et 16 janvier prochain) et
à Angers (quelques jours plus tard, les 20, 22 et 23 janvier).
Courez ! Ne manquez pas les prochaines navettes pour la
Lune !
Clément TAILLIA
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