C O N C E R T S 
 
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STRASBOURG
25/01/05
Dietrich Henschel
© DR
Dietrich Henschel baryton
Helmult Deutsch  piano

Franz SCHUBERT

Totengräber-Weise, D869
Nachtstück, D672
Das Zügenglöcklein, D871
Totengräbers Heimweh, D842

Schwanengesang, D957

Strasbourg, Opéra du Rhin
25 janvier 2005

Il est passionnant de voir comment, en quelques années, Dietrich Henschel s'est peu à peu forgé un style propre et une conception du lied toute personnelle. Si l'on retrouve encore, au détour d'une phrase, dans la coloration d'un mot, l'ombre du maître, l'autre Dietrich ; l'élève va encore plus loin en sophistication dans son approche du genre. L'instrument, pourtant, est loin d'être exceptionnel (osera-t-on dire que le timbre est assez pauvre et les moyens purement vocaux limités ?) mais son usage absolument transcendant.

Voûté, les yeux presque constamment fermés, le chanteur ne nous convie à aucun moment dans son univers. On restera longtemps étranger à ce soliloque, sans vraiment comprendre pourquoi l'interprète s'obstine à vouloir nous fermer les portes de ses tourments. Il faut attendre les ultimes vers de Totengräbers Heimweh, intériorisé à l'extrême jusqu'à en devenir irréel et cosmique, pour ressentir cette solitude et ce mal-être indicible. Plutôt que de nous montrer les affres du poète, Henschel choisit de nous les faire vivre. Cheminement douloureux aussi bien pour le public que pour l'interprète, où la communion ne passe pas tellement par le chant, mais par la compassion. La neurasthénie de Ständchen, d'une pudeur et d'une efficacité inouïes, confine ainsi à la schizophrénie avec Der Doppelgänger, dans lequel l'auditeur ne tardera pas à s'identifier lui-même à cette figure du double.

On peut ne pas adhérer à cette conception éminemment sombre, on peut reprocher au baryton le profond hermétisme de sa démarche, mais on ne peut qu'admirer l'excellence de la réalisation et la cohérence avec laquelle il assume ses partis pris. Il lui suffit ainsi de suspendre d'une seconde l'attaque de la deuxième strophe de In der Ferne pour que nous ressentions au plus profond de nous-même ce doute et cette hésitation à répondre à l'appel du pays. Nuançant à l'infini les lieder strophiques, il nous livre un bouleversant Abschied dans lequel le poète, malgré la jubilation pianistique, sombre au fil des strophes dans le renoncement et le désespoir, culminant sur de poignants "Ade".

Le piano, justement, n'est pas étranger à la réussite de cette aventure : rutilant, liquide, flamboyant, Helmut Deutsch est un caméléon qui encercle l'interprète, quitte à le couvrir parfois, pour ne laisser arriver jusqu'au baryton que les plus valeureux Siegfried. 

Si le Winterreise fait se succéder les paysages, l'itinéraire que suit Dietrich Henschel dans son Schwanengesang est mental, émotionnel et mnémonique : les sentiments, aussi divers soient-ils, se teintent tous peu ou prou d'une atmosphère de mort et revêtent une grandeur tragique et macabre saisissante.

Un cauchemar dont on hésite pourtant à se réveiller...
 
 

Sévag TACHDJIAN
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