Après
les troubles syndicaux, les intermittents dans les rues, les chanteurs
empêchés de chanter et les chahuts organisés, bref,
les regrettables annulations de l'été dernier, Aix tente
de renaître et de tout oublier.
Difficile transposition
à la scène d'un superbe oratorio de Haendel.
Un des spectacles phare de
cette année, confié à deux très grandes pointures
- William Christie et Luc Bondy - est la production scénique du
Hercules de G. F. Haendel (1745), oeuvre en anglais, originellement écrite
sous la forme d'un oratorio, mais on sait que chez ce compositeur, la frontière
musicale entre l'oratorio et l'opéra est bien ténue.
L'argument, tiré de
Sophocle, nous présente Déjanire qui se meurt de chagrin,
croyant son mari Hercule mort à la guerre. Or le héros n'est
pas mort ; il revient au bercail mais ramène avec lui une belle
captive, la touchante Iole, dont il a rasé la ville et dont il a
tué le père. L'immense chagrin de Déjanire, qui n'était
que l'expression de son amour, se mue en une jalousie non moins spectaculaire,
au point qu'elle en perd la raison. Hyllus, le fils d'Hercule, n'est pas
insensible à la belle et fragile Iole que son père couvre
de présents. Un cinquième personnage, Lichas, sorte de choeur
antique à lui tout seul, commente l'action, recueille les confidences
et fait avancer l'intrigue. Tentant par un sortilège de ramener
son époux à la fidélité, Déjanire lui
fait revêtir la tunique de Nessus et le fait mourir dans d'atroces
souffrances. Jupiter intervient, unit Hyllus à Iole, et accueille
le glorieux Hercule dans l'Olympe.
© Elisabeth Carecchio
Le traitement dramatique
du livret est centré autour des sentiments de Déjanire face
à la toute puissance du désir d'Hercule et nous vaut, de
la part de Haendel, une musique sublime, d'un raffinement extrême,
plus sobre qu'à l'habitude, économe de ses effets, mais terriblement
efficace dans l'expression des souffrances et des passions. Les Arts Florissants
et l'équipe de jeunes chanteurs que Christie a réunis forment
une distribution très homogène et de très haut niveau
: la mezzo américaine Joyce DiDonato, en Dejanire, et la soprano
suédoise Camilla Tilling en Iole rivalisent de virtuosité
dans les airs (redoutables) à vocalises, et réussissent chacune
à construire un personnage émouvant et parfaitement caractérisé;
l'autre Suédoise de la distribution, la mezzo Malena
Ernman, campe un Lichas étonnament présent. Du côté
des hommes, le ténor Toby Spence déploie une présence
scénique, un charme rayonnant et des qualités vocales tout
à fait convaincants dans le rôle du vaillant Hyllas. La seule
petite déception vient de William Schimell, Hercule manquant un
peu de puissance et de profondeur; pour un tel personnage, on attendait
un chanteur plus spectaculaire.
Les choeurs des Arts Florissants,
musicalement très actifs mais parfois en léger décalage
avec l'orchestre, complètent la distribution vocale. Dans la fosse,
les équipes de Christie font merveille, très attentives aux
détails de la partition, à la délicatesse des nuances,
soulignant la fluidité de la ligne vocale avec souplesse, alliant
beaucoup de métier à beaucoup d'intelligence musicale; un
vrai ravissement pour l'oreille et pour l'esprit.
© Elisabeth Carecchio
Nous sommes plus réservés
sur la mise en scène de Luc Bondy, qui semble n'avoir pas trouvé
le ton juste et qui a bien du mal à transformer en actions scéniques
les longueurs d'un récit conçu pour un oratorio et essentiellement
tourné vers la narration. Hésitant entre la représentation
d'une tragédie grecque et celle d'un soap-opera américain,
il transpose l'action à l'époque contemporaine, sans doute
pour souligner l'universalité des sentiments et des passions, mais
dans le même temps, il gomme toute hiérarchie dans les rapports
entre les personnages et laisse aux oubliettes le sens de la grandeur et
du renoncement, pourtant bien présents dans le texte. Sur le plan
purement esthétique, l'absence presque totale de couleurs, les mouvements
des personnages réduits à la portion congrue (seule la présence
du choeur anime un peu l'espace), contribuent à la fadeur d'un spectacle
sans grande originalité. Et les efforts pour meubler le plateau
avec les morceaux épars d'un colosse de pierre, censé représenter
les restes de la toute-puissance d'Hercule, ne suffisent pas à captiver
le regard, face à la richesse musicale de la partition. Luc Bondy
nous a habitués à des interprétations plus inspirées
et surtout plus poétiques, et à une lecture plus subtile
des sentiments humains.
Claude JOTTRAND
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Note :
Présentée en
version concert à Beaune le 23 Juillet, cette production sera reprise
à Garnier en décembre, puis à Vienne en juin 2005,
à New-York en février 2006 et enfin au Barbican de Londres
en mars 2006.