20 après Giulio Cesare
et Tamerlano, 10 ans après Alcina, grands opéras
italiens, Haendel, âgé de près de 60 ans, mais poussé
par des raisons financières, veut conquérir définitivement
les faveurs du public anglais. Bien qu'il maîtrise imparfaitement
la langue anglaise, il réussit à la rendre "musicale", aussi
bien que l'avait fait Purcell au siècle précédent.
De grands oratorios à sujet biblique ou historique lui fournissent
des épopées qui lui permettent de déployer tout son
talent alors qu'il a atteint le sommet de son art. Dans ce même élan,
il compose successivement deux oeuvres inspirées de la mythologie,
à mi-chemin entre l'oratorio et l'opéra : d'abord Semele,
puis en 1745, Hercules.
Prophéties, jalousie, vengeance,
tous les ingrédients de la tragédie antique apparaissent
dans ces trois actes, denses en rebondissements dramatiques, qui nous racontent
le dernier épisode de la vie d'Hercule. Ils sont portés par
une musique puissante et généreuse. Acte I : retour d'Hercule
vainqueur. Acte II : les ravages de la jalousie. Acte III : mort d'Hercule
et folie de Déjanire.
Si William Christie, les musiciens
et les choeurs des Arts florissants, bien ajustés à l'expression
baroque, nous restituent avec science et délicatesse cette musique
sublime, hélas, une fois de plus, le décor, les accessoires
triviaux et la "direction d'acteurs" à laquelle doivent se soumettre
les chanteurs ne font que nous gêner pour goûter pleinement
cet ouvrage magnifique.
Après avoir eu droit au grand
rideau tout bleu interminablement gonflé par le vent pour meubler
l'ouverture, aux morceaux de" colosse" épars sur le plateau pour
évoquer le lieu et l'action, aux personnages habillés, selon
les cas, en treillis militaire, en imperméable ou en sous-vêtement
- le tout éclairé avec brutalité, après avoir
encore admis que les princesses pouvaient très bien se promener
pieds nus, siroter des jus de fruits en lisant des magazines, ramper sur
le sable, jeter leurs bijoux de colère ou se vautrer sur leurs partenaires
masculins, nous devons, pour l'apothéose finale, nous satisfaire
d'un barbouillage de sang et d'un tas de fumée sans feu...
Mais, par chance, Haendel et son librettiste
ont choisi un happy end !
Malgré tout, et en dépit
du fait qu'ils doivent exécuter - la plupart d'entre eux sans conviction
- quantité de gestes et de mimiques bien inutiles, les chanteurs
s'en tirent plutôt très bien vocalement. Dans le rôle
titre, William Shimmel est convaincant, solide et, apparemment, très
à l'aise dans l'univers de Bondy. Son fils, Hyllus, est interprété
avec brio par le jeune ténor Toby Spence. Sa voix bien timbrée
et parfaitement contrôlée compense un jeu distancié,
sans grande consistance. On attendait beaucoup de la Dejanira de Joyce
DiDonato, personnage central du drame. Si la mezzo américaine confirme
ses qualités, elle semblait, le soir de cette première parisienne,
en-deçà de ses possibilités, surtout dans sa scène
de folie furieuse. Sa voix contraste efficacement avec celle de la soprano
Ingela Bohlin, agréable en princesse Iole. Leur duo "Joys of freedom,
joys of pow'r'' fut un des meilleurs moments de la soirée. Dans
le rôle du héraut, la belle mezzo Malena Ernman, au physique
très athlétique, manque néanmoins de puissance vocale
pour être appréciée dans cette salle du Palais Garnier,
un peu grande pour le répertoire baroque. Pour conclure sur une
bonne note, une mention spéciale pour les choeurs saisissants de
cet ouvrage, merveilleusement chantants dans cette production.
Brigitte CORMIER