L'évènement de la saison,
au Grand Théâtre de Genève, c'est le spectacle de fin
d'année. Cette saison, Jean-Marie Blanchard a eu l'heureuse idée
de programmer ce chef-d'oeuvre que sont "Les Contes d'Hoffmann". Et il
prit le pari audacieux d'en confier la mise en scène à un
homme de théâtre et de cinéma qui n'avait jusqu'ici
jamais mis en scène d'opéra, Olivier Py. Le pari ne fut gagné
qu'à moitié. En effet, si l'on vit une mise en scène
vivante, intéressante et pleine d'idées, notamment l'accentuation
du côté onirique de par le biais d'une ressemblance physique
étonnante entre toutes les femmes de l'oeuvre (sorte de présence
obsédante de Stella), ou encore cette structure métallique
à trois étages qui bougeait sans cesse et donnait du dynamisme
à l'oeuvre et permettait un jeu de scène efficace par moments,
par exemple lorsque Miracle questionne Antonia à distance : il s'adresse
à une chaise, alors que la vraie Antonia réagit comme mue
par une force invisible et oppressante à l'étage supérieur.
Malheureusement, Py commit quelques
erreurs qui lui valurent d'être sifflé par une partie du public.
La première a été de trop surcharger sa mise en scène.
Il fallait qu'il se passe sans arrêt quelque chose, et du coup l'attention
du public se trouvait distraite plus qu'à son tour. De plus, était-il
bien nécessaire d'imager chaque parole, à l'instar d'Antonia
qui, chantant "elle a fui la tourterelle" lance réellement un oiseau
dans la salle ? Autre erreur, l'abus de lumières envoyé à
la face de la salle. Ainsi, il était possible aux chanteurs de voir
le public (de nombreux choristes que j'étais venu saluer m'ont dit
"je t'ai vu dans la salle, tu étais au deuxième rang") alors
que l'inverse n'était hélas pas toujours vrai. Ensuite, Py
a montré qu'il ne connaissait rien à la voix en faisant,
notamment, chanter Lindorf et Coppelius à dix mètres du sol,
d'où un problème d'acoustique qui a fait croire à
certains que José van Dam n'avait plus de voix, sans compter quelques
inévitables décalages avec l'orchestre. Mais ce qui aura
le plus choqué le public, c'est l'abus gratuit de la pornographie.
Ainsi, Olympia et Schlemil sont-ils complètement nus, Hoffmann viole
Olympia au lieu de danser avec elle, l'acte de Giulietta, pourtant pétri
de bonnes idées (notamment de faire arriver la courtisane en meneuse
de revue ou de faire se travestir en femme l'homme qui perdit son âme)
ressembla surtout à une partouze géante, avec à nouveau
des figurants complètement nus. Très dommage, car Py a démontré
qu'il avait quand même quelques bonnes qualités. Peut-être
a-t-il simplement besoin d'acquérir de l'expérience...
Quelqu'un qui, en revanche, n'en a
pas besoin, c'est le chef d'orchestre : Bertrand de Billy a rendu une copie
parfaite au niveau de l'art difficile de diriger l'orchestre de la Suisse
Romande. Tempi adéquats, soutien parfait des chanteurs, il n'y a
quasiment rien à redire, si ce n'est que l'on peut regretter quelques
coupures dont la reprise "dont il faudrait chaque matin" dans le trio Hoffmann-Miracle-Crespel.
De même, il a choisi de nous présenter la version Oeser, avec
quelques emprunts à Choudens, notamment l'air de Nicklausse "Une
poupée aux yeux d'émail" et le sextuor de l'acte de Giulietta
(avec une curieuse inversion des lignes de Schlemil et Dapertutto). Malheureusement,
il ne nous a pas gratifiés du magnifique "Scintille, diamant ",
ce qui est toujours fort dommage.
Venons-en aux interprètes. La
déception de la soirée est à mettre sur le compte
de Michael Myers. Certes, le ténor américain possède
un joli timbre (quoique peu puissant) qui conviendrait parfaitement au
rôle d'Hoffmann, mais c'est tout. Peu concerné par son rôle,
ne sachant vraisemblablement pas ce qu'il chantait, le mot "interprétation"
semble étranger à son vocabulaire. Ainsi, il arrive comme
un touriste, il raconte Kleinzach comme s'il lisait un fait divers et lorsqu'il
part dans son rêve, le spectateur ne fait pas la différence
entre Kleinzach et Stella.
Autre déception, Mireille Delunsch
en Antonia. Pas mauvaise, mais pas bonne non plus, avec souvent de l'air
sur sa voix dont le timbre est pourtant agréable. Une Antonia peu
marquante en fin de compte. Meilleur, le Nicklausse de la contralto lucernoise
Heidi Brunner. Si l'on peut lui reprocher quelques graillements dans le
grave et un français incompréhensible, elle sait néanmoins
mettre une très grande voix au service d'une excellente musicalité,
surtout dans la barcarolle.
Extraordinaire en revanche, Patricia
Petibon en Olympia. Une technique sans faille qui lui fait se jouer sans
peine des difficultés des "Oiseaux dans la charmille ", avec en
prime quelques variations inédites dans le second couplet, et surtout,
à l'inverse de Dessay, on entend là vraiment chanter une
poupée mécanique et non une soprano colorature ayant une
excellente technique. Un régal pour les oreilles, et pourtant, il
y a eu mieux ! Entendez par là la fabuleuse Giulietta de Marie-Ange
Todorovitch (qui chantait également la mère d'Antonia), elle
aussi irréprochable sur le plan vocal et qui, dans son numéro
de courtisane, ferait se damner un saint ! Et enfin, il y a José
van Dam, qui même si la voix n'est plus aussi puissante que par le
passé, domine le plateau grâce à sa diction parfaite
et son intelligence de chant et de jeu. Même à soixante ans,
le baryton belge a prouvé une fois de plus que dans les rôles
des quatre diables, il y a lui et il y a les autres. Satanique en Dapertutto,
effrayant en Miracle, sympathique en Coppelius, dominateur en Lindorf,
van Dam est tout bonnement et comme à son habitude parfait.
Les petits rôles sont aussi très
inégaux allant de l'excellent (Bernard Deletré en Schlemil)
au franchement mauvais (Carlos Feller en Crespel), avec une mention pour
Jean-Paul Fouchécourt qui hisse son quadruple rôle (Andrès,
Cochenille, Frantz, Pittichinaccio) avec brio au niveau des meilleurs.
En bref, malgré quelques bémols ça et là, ces
Contes d'Hoffmann sont un spectacle qui en vaut vraiment la peine.