LE DRAPEAU NOIR FLOTTE SUR LA MARMITE
La distribution du "Vaisseau" de juin
2000 (Struckmann, Voigt, Moser, Rootering et Streit) nous plongeait dans
l'âge d'or des croisières de luxe ; hélas, pour cette
reprise, le cabotage succède au cabotinage.
Albert Dohmen est le Hollandais idéal
Ö pour Karlsruhe ou Mannheim. En bon aboyeur, il remplit sans faiblir le
grand paquebot de la Bastille. En revanche, le mot "intériorisation"
n'est pas à son vocabulaire (ce n'est pas lui qui porte toute la
misaine du monde).
Susan Anthony est une Senta dont la
voix évoque les sirènes (d'alarmes, pas d'Ulysse, hélas)
: encore que les cornes de brumes soient moins fâchées avec
la justesse.
Elle a au moins 3 mérites :
1. chanter fort
2. y croire
3. chanter fort
Reste que certains aigus donnent le
mal de mer.
Elle n'est guère gâtée
par une mise en scène qui, la moitié du temps, lui fait contempler
le portait du Hollandais avec des yeux de merlan frit, portrait qui lui
échappe des mains ou qu'elle jette à terre une à deux
fois par acte.
Kim Begley campe un personnage attachant,
mais il n'est pas en reste dans le manque de justesse ("que celui qui n'a
jamais péché ..."). Il n'est pas gâté par son
ridicule costume tyrolien, censé accentuer le contraste entre "l'homme-des-terres-qu-il-est"
et les "gens-de-mer-que-les-autres-ils-sont", mais qui lui enlève
toute crédibilité scénique.
Si Franz-Josef Selig est un Daland
routinier, il faudra en revanche se rappeler de Mathias Zachariassen, excellent
pilote.
La direction de Daniel Klajner est
énergique, mais l'orchestre reste imprécis (je dirais même
... vague !) : les cordes ont tout particulièrement du mal à
faire leurs attaques simultanément. En revanche, les cuivres s'en
donnent à coeur joie : c'est une véritable déferlante
de décibels !
On ne sera pas étonné
que tout ça finisse en queue de poisson : la rédemption par
l'amour est refusée au Hollandais pour lequel Senta se suicide inutilement.
Comme d'habitude, décor unique
: à l'Opéra, on a des oursins dans les poches.
Si ce n'est pas Titanic, ni même
la Péniche-Opéra, on évite tout de même le naufrage
: le spectacle est d'ailleurs accueilli par une tempête d'applaudissements.
J'en reste médusé.
Placido Carrerotti