Né
en 1711 à Vienne, Ignaz Holzbauer s'est frotté avec bonheur
à tous les genres musicaux : auteur de nombreuses partitions de
musique religieuse et instrumentale (dont près de soixante-dix symphonies),
il a également composé quelques opéras parmi lesquels
Gunther von Schwarzburg (1777) en langue allemande, apprécié
par Mozart.
Dès 1753 Carl Theodor de Mannheim
lui commande un ouvrage pour l'inauguration du théâtre de
Schwetzingen : ce sera Il figlio delle selve dont le succès
lui vaudra d'être nommé maître de chapelle à
la cour du prince. Ainsi, Holzbauer fera partie de la première génération
des musiciens de l'école de Mannheim où il demeurera jusqu'à
sa mort en 1783.
En 2003, le Festival de Schwetzingen
monte Il Figlio delle selve pour commémorer le deux cent
cinquantième anniversaire de l'ouverture de son théâtre.
C'est cette production que propose cette année le Festival de Montpellier
qui, lui, fête ses vingt ans.
Le livret, qui avait été
déjà mis en musique à plusieurs reprises, conte les
aventures de Ferindo, sorte d'enfant sauvage, innocent et pur, confronté
soudain à la civilisation : un thème récurrent au
XVIIIème siècle, dont on retrouvera l'écho en littérature
chez Rousseau notamment et même Marivaux (La Dispute).
Teramene, roi de Lesbos, ayant été
chassé de son trône par le tyran Rodaspe, se réfugie
avec son jeune fils sur une île déserte où il aborde
après un naufrage. Là, il élève pendant des
années l'enfant, au milieu des bois et des animaux. Entre-temps
Rodaspe est mort et sa fille Elmira lui a succédé. Quand
le rideau se lève, Elmira débarque sur cette île pour
y chasser avec une partie de sa cour, notamment Lucilla, sa dame d'honneur
et Sergesto : en fait, celui-ci n'est autre qu'Arsinda, l'épouse
de Teramene, qui a survécu au naufrage et s'est travestie en homme
dans le but de fomenter une révolte contre l'usurpatrice. Elle ne
tarde pas à rencontrer Teramene et après de nombreuses péripéties
le couple royal retrouvera son trône. Elmira est condamnée
à mort, mais Ferindo supplie ses parents de l'épargner car
il s'est épris d'elle et désire l'épouser. Ceux-ci
acceptent et tout s'achève dans l'allégresse générale.
© Marc Ginot
Les décors partagent ingénieusement
la scène en trois espaces délimités par trois cadres
noirs de taille décroissante qui créent un effet de profondeur
et permettent aux personnages de se croiser sans se voir quand il le faut.
Au fond, on aperçoit au premier acte une diapositive qui représente
la forêt et par la suite, un écran lumineux dont la couleur
change au gré des situations.
Les costumes, plutôt contemporains,
collent cependant à l'esprit de cette fable pastorale. La direction
d'acteurs extrêmement précise de Georges Delnon tire par moment
l'ouvrage vers le burlesque : sa mise en scène fourmille d'idées
et de clins d'oeil parfois grivois : ainsi, lorsque Ferindo voit une femme
pour la première fois -en l'occurrence Lucilla- et lui demande "quelle
différence la Nature a mise entre l'homme et la femme", celle-ci
s'emploie à le déniaiser puis se brosse longuement les dents.
Teramene s'asperge de déodorant avant d'aborder Arsinda et esquisse
des claquettes au deuxième acte. Un singe facétieux vient
par moment effrayer ces dames. Enfin, tous sableront le champagne au cours
de l'ensemble final.
La musique préfigure celle des
opéras du jeune Mozart et ceux de Haydn. On y perçoit aussi
l'influence que ses voyages en Italie ont exercé sur le compositeur
notamment dans les airs de furie d'Arsinda, "Son qual nocchiero" et d'Elmira,
"Il Vento, l'Onda e il Mar", qui évoquent les éléments
déchaînés dans la lignée du célèbre
"Agitata da due venti" extrait de La Griselda de Vivaldi.
Deux duos, un trio et l'ensemble final
viennent rompre habilement la monotonie de la succession airs/récitatifs.
La distribution, en dépit de
quelques faiblesses, est somme toute homogène et dominée
par les trois sopranos aux timbres judicieusement contrastés.
Le rôle de Teramene semble annoncer
celui d'Idoménée dès le grand récitatif accompagné
qui marque son entrée. Gunnar Gudbjörnsson lui prête
sa voix solide aux belles sonorités mais force est de reconnaître
que par instant la vaillance lui fait défaut, notamment dans l'air
"Il leon fra le ritorte".
Gunther Schmidt campe un Ferindo tout
à fait crédible scéniquement, naïf sans être
benêt. Cependant son timbre dépourvu d'éclat et avare
de nuances ne rend pas pleinement justice à ce personnage de prince
ingénu qui découvre l'amour et la civilisation, d'autant
que les ornementations lui posent quelques problèmes et les affects
des cinq airs qui lui sont dévolus ne sont pas suffisamment différenciés.
© Marc Ginot
Sabine Martin est une Lucilla piquante
à souhaits, tout à fait dans la tradition des soubrettes
d'opéra buffa. Très à l'aise sur le plateau elle ne
peut cependant masquer quelques stridences dans l'aigu, notamment au premier
acte, qui s'estomperont par la suite.
Le rôle travesti d'Arsinda/Sergesto
échoit à Maria Rodrigez, soprano à la voix délicatement
ambrée. Son duo avec Teramene, lors de leurs touchantes retrouvailles,
est interprété avec émotion et sensibilité
tandis que "Son qual nochiero", aux vocalises redoutables, révèle
une technique parfaitement maîtrisées. On pourra entendre
cette cantatrice à Mogador la saison prochaine (le 10 mai) dans
La Vida breve sous la baguette de Rafael Frühbeck de Burgos.
Enfin Melba Ramos triomphe dans son
rôle d'usurpatrice touchée par l'amour, dont elle livre un
portrait en tout point convaincant, tant au plan théâtral
que vocal, dans une tessiture ample et riche en ornementations qu'elle
affronte avec un rare bonheur. Sa partie ne comporte pas moins de sept
arias fort contrastés dont le dernier "Il vento, l'Onda e il Mar"
est le plus applaudi de la soirée.
Au pupitre Christoph Spering défend
avec vaillance et conviction cette partition à la tête d'un
orchestre aux belles sonorités, notamment les cuivres, souvent sollicités.
Malgré quelques réserves,
une soirée passionnante qui permet au mélomane curieux de
découvrir une oeuvre d'un grand intérêt, comme le Festival
de Montpellier sait nous en offrir régulièrement.
Christian PETER