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GENEVE
07/05/04
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

Idomeneo, Rè di Creta

Opéra en trois actes
Livret de Gianbattista Varesco

Production du Festival de Salzbourg

Keith Lewis (Idomeneo)
Hanna Esther Minutillo (Idamante)
Carmela Remigio (Ilia)
Marcella Orsatti Talamanca (Elettra)
Jeffrey Francis (Arbace)
Peter Straka (Le grand prêtre de Neptune)
Eric Owens (La voix de Neptune)
Nicola Hollyman, Mariana Vassileva-Chaveeva (Deux Crétoises)
Sanghun Lee, Wolfgang Barta (Deux Troyens)

Christian Secrétan (Violoncelle continuo) 

Ursel et Karl-Ernst Herrmann (mise en scène)
Karl-Ernst Herrmann (décors, costumes et éclairages)

Orchestre de Chambre de Lausanne
Michael Gielen, direction
Choeur du Grand-Théâtre de Genève
Ching-Lien Wu, cheffe de choeur

Prochaines représentations
Les 9, 11, 13, 15, 17 et 19 mai 2004



Idoménée révèle Idamante

Moderne dans sa musique et traditionnel dans son expression lyrique, Idomeneo, Rè di Creta est un opéra déroutant. Doit-on le jouer ou le chanter ? Le dramatiser pour en extraire l'intrigue théâtrale ou le symboliser pour en glorifier la délicatesse des sentiments ? Les règles strictes antérieurement attachées à l'opera seria sont aujourd'hui fort heureusement transgressées. Les productions actuelles sont notablement plus inventives et dynamiques que celles auxquelles assistaient nos grands-parents. En s'attachant à la théâtralisation, la sélection des chanteurs s'élargit aussi considérablement, car elle n'est plus confinée à la tradition d'un chant proche de la musique baroque.

Reprise du Festival de Salzbourg 2000, la production genevoise semble avoir favorisé un choix hétéroclite d'interprètes. Les uns soutenant le chant mozartien, les autres étant plus proches d'une théâtralisation de l'opéra, ce mélange mariant les deux tendances ne choque pas pour autant. Si Genève n'a ni la prétention (ni les moyens économiques) de présenter une distribution aussi brillante qu'à Salzbourg - avec, entre autres, Vesselina Kasarova (Idamante) et Luba Orgonasova (Elettra) - les protagonistes, dans l'ensemble, ont offert une belle prestation d'où ressortent quelques rares individualités.

A commencer par la mezzo-soprano tchèque Hanna Esther Minutillo (Idamante), qui s'empare de son personnage et le projette au centre de l'intrigue comme si Idoménée révélait Idamante. Dominant le plateau, la voix intentionnellement durcie, presque sans vibrato, elle incarne le jeune conquérant, le roi en devenir. Noble sans maniérisme, crâne sans brutalité, le geste altier, la démarche volontaire, la jeune femme est admirable. Elle fait le théâtre. Totalement engagée, elle donne l'impression de chanter sans chanter, de jouer sans jouer. Elle est. Tout simplement. Parfaite technicienne, jamais son chant ne fait défaut. Étrangement, son assurance vocale juvénile contraste avec bonheur avec l'usure de la voix de Keith Lewis (Idomeneo). Si elle est le jeune prince, il est (malgré lui !) le vieux roi. Les difficultés que le ténor néo-zélandais éprouve dans ses vocalises se muent en un touchant message de générations. Au chapitre d'une virtuosité encore intacte, à signaler celle du ténor américain Jeffrey Francis (Arbace). Plus décevantes, les deux protagonistes féminines Carmela Remigio (Ilia) et Marcella Orsatti Talamanca (Elettra). Si la diction approximative de la première l'empêche d'apporter toute la douceur amoureuse de son personnage, la "trop belle" voix de la seconde lui interdit la véhémence de la jalousie.

Dans Idomeneo, Rè di Creta, Mozart innove en confiant au choeur le rôle d'un véritable personnage. Admirablement préparé, le choeur du Grand-Théâtre évolue dans l'excellence. Même si quelques légers décalages dus aux exigences de la mise en scène pourraient lui être reprochés, il se prend au jeu des mouvements scéniques sans pour autant manquer à l'admirable musicalité qui en fait un miracle et un enchantement à chacune de ses prestations. Seule légère ombre au tableau de cet excellent spectacle, sous la baguette autoritaire de Michael Gielen, l'Orchestre de Chambre de Lausanne est apparu moins seyant qu'à son habitude. Imposant une certaine dureté à l'ensemble, le chef allemand lui fait perdre un peu de sa brillance. Dommage, l'instrument lausannois est pourtant si beau !

Jouant de couleurs pastel en phase avec l'intrigue, le couple de metteurs en scène allemands (les "Herrmann" comme la coutume les appelle dorénavant) signe une lecture dépouillée et efficace de cet Idomeneo, Rè di Creta. Les éclairages jaune or, les panneaux teintés de rouges, les costumes noirs, les sols, sombres, symbolisent tout à tour les moments heureux par opposition aux heures de vengeance sanguinaires, ou les doutes du sacrifice mortel imposé par la promesse qu'Idoménée fit à Neptune. Si la signification d'un étonnant ballet de "ballonnets-têtards" reste mystérieuse, l'arrivée du monstre marin déferlant comme une immense marée noire sur un sol de sable jaune est saisissante de réalisme. La direction d'acteurs d'Ursel et de Karl-Ernst Herrmann fait merveille. L'absence quasi totale d'accessoires et la nudité du dispositif scénique (un grand plateau incliné derrière un "promenoir" entourant la fosse d'orchestre) est la porte ouverte à un certain ennui visuel, mais dans cette immensité, chacun bouge, part, revient, s'éloigne dans un incessant ballet. On marche, on court, on s'arrête, on recule, tout semble d'un naturel déconcertant et pourtant tout est réglé au millimètre.
 
 

Jacques SCHMITT
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