VIVA LA MAMMA
Composé par un Donizetti de
trente ans, ce revigorant opéra-bouffe est d'une grande efficacité.
L'oeuvre offre en effet des possibilités de mise en scène
extraordinaires et Mamma Agata (une Diva qui rêve de faire
son retour sur les planches) est un rôle en or pour un bon chanteur-acteur.
Cette pochade méritait bien une nouvelle production. Sur sa lancée,
celle d'une audace éclectique qui lui fait grand honneur, l'Opéra
de Monte-Carlo a encore tapé dans le mille.
On sait que le sujet est assez mince
: une troupe d'artistes plus ou moins lyriques répète en
se chamaillant (voilà pour l'opéra-bouffe). Mais l'oeuvre
finalement jouée sous nos yeux est un Romulus et Ersilia
antiquisant, truffé d'airs de grande virtuosité. Double bénéfice
pour le spectateur qui a droit à deux opéras pour le prix
d'un.
La mise en scène de Beppe De
Tomasi ? Un bonheur de tous les instants ! Voici bien, dans des décors
et costumes luxueux de Francesco Zito qui nous plongent dans un XIXe siècle
rempli de théâtreux plus vrais que nature, le spectacle le
plus drôle, le plus enlevé, le plus ébouriffant, le
plus délirant, le plus spirituel, le plus intelligent, le plus sympathique
qui soit.
Il est toujours facile de faire rire
avec des travestis... Pour sûr, on reste ici en pays de connaissance,
car toujours à mi-chemin entre Les Branquignols et La
Cage aux Folles. Mais cet agréable méli-mélo de
deux références parmi les plus populaires, reste ici toujours
plein de classe, de chic, de race. Bref, un spectacle qui a du chien et
qui devrait être remboursé par toutes les caisses d'assurance
maladie !
L'entrée de Simone Alaimo (Agata/La
Mamma), éméché, son cabas bourré de légumes,
dans un costume irrésistible, fait beaucoup d'effet. Il/Elle est
grandiose dans cette parodie de cantatrice sur le retour d'âge. Sans
une once de vulgarité, sans outrance, d'une finesse psychologique
rare. Voici un baryton qui chante, joue, s'amuse pour nous, pour lui, pour
ses camarades. L'artiste italien tient à juste titre à nous
le faire savoir dans un mélange de cocasserie et de musique sérieuse,
de parodie et de turbulence avec un respect de la partition au scalpel.
Inénarrables ses pastiches de Lucia et Norma ! Et
quel chanteur qu'Alaimo ! La seule présence de son timbre de bronze
assure un relief inestimable à son rôle.
Flavio Oliver
Autre vainqueur de la soirée
: le sopraniste Flavio Oliver. A votre choix, Maciste ou Gladiateur...
avec la voix d'Orphée en jupette romaine classique ! Choc garanti
dans un Di Tanti Palpiti brut de décoffrage, mais toujours
très musical. Tous les autres sont croqués avec bonheur et
adresse : Danilo Formaggia en ténor plus ringard que nature, Michele
Govi (mari efféminé à outrance de la Diva ?) en Pissecrome,
Enrico Turco en Prospero tonitruant...
Les Dames ne pouvaient que pâlir
d'un tel entourage. Même la grande, la belle June Anderson, technicienne
hors pair, ne sort que rarement d'une certaine apathie vocale et scénique.
On cherche en vain cette vis comica qui la rendrait tellement plus
crédible...dans cette gentille et proprette caricature de prima
donna vindicative, pleine de superbe et de suffisance. Natalie Karl,
enfin, prête son humour et sa petite voix à une Luigia (Fille
d'Agata) un tantinet nymphomane.
En grand spécialiste de ce répertoire,
Paolo Arrivabeni dirige avec panache et avec une légèreté
exemplaire, ce qui se révèle un atout non négligeable
dans la réussite du spectacle.
Bonne intervention du choeur masculin
et n'oublions pas le ballet, burlesque à souhait, mais qui aurait
pu éviter ces quelques gestes stéréotypés et
ces attitudes grossières ou figées qui sentent à mille
lieues, mais volontairement il est vrai, leur province.
Christian COLOMBEAU