Ce concert au programme très
bien composé, qui sera retransmis par France Musique le 8 décembre prochain à
15 heures, s’inscrivait dans le cadre de l’exposition « Klimt, Schiele,
Moser, Kokoschka, Vienne 1900 », organisée par le Musée d’Orsay et la Réunion
des Musées Nationaux, présentée du 5 octobre 2005 au 23 janvier 2006 aux
Galeries Nationales du Grand Palais.
Programme d’autant plus
fascinant que les quatre musiciens y figurant, et également ceux ayant réalisé
les réductions des œuvres, furent des acteurs essentiels de cet
extraordinaire foisonnement artistique qui, à la fin du XIXème siècle, fit de
Vienne une véritable « capitale culturelle », et aboutit à nombre de
chef-d’œuvres dans tous les domaines.
Encore plus étonnant, on
assiste là à un véritable jeu de miroirs, où tout s’imbrique et se reflète :
Schönberg, Zemlinsky et Mahler se connaissaient bien. Zemlinsky, qui sera
amoureux sans espoir de la future Madame Mahler, Alma Schindler, et aussi le
premier et unique professeur de Schönberg, avant de devenir son beau-frère,
dirigea nombre des œuvres de son élève.
Quant à Schönberg, qui,
deviendra le professeur de Webern, il fonda en 1918 la « Société d’exécutions
musicales privées », destinée à faire connaître la musique boycotée par les
institutions officielles. Berg, Webern, Steuermann y furent conférenciers, et
afin d’inscrire au répertoire des œuvres d’un effectif au départ trop
important, certains des élèves de Schönberg, comme Stein ou Eisler,
transcrivaient, réduisaient, ou adaptaient selon les circonstances. La
transcription par Schönberg des Lieder eines fahrenden Gesellen fut
donnée au cours d’un des concerts de l’association, en 1920. Mahler en avait
lui-même réalisé plusieurs orchestrations.
Programme complexe et
passionnant, donc, en raison de la subtilité des liens tissés, quasiment
« freudienne », et vertigineuse, ô combien.
D’où vient alors que l’on
reste sur sa faim et que l’on se sente, quelque part, frustré ?
Certainement pas des
solistes de l’Ensemble Intercontemporain, tous excellents, en particulier dans
leur lecture passionnée et riche en émotions, du Quintette pour piano
et cordes de Webern, et aussi de la Symphonie de Chambre de
Schönberg, d’une grande difficulté, d’autant plus qu’avec un effectif réduit,
elle devient quasiment de la musique de chambre, elle aussi.
Une mezzo vraiment
trop forte
Il faut bien l’avouer, la
déception vient de l’interprétation de la mezzo-soprano suisse Yvonne Naef,
que l’on avait pourtant remarquée pour sa magnifique Brangaene dans le récent
Tristan de la Bastille.
Certes, cette wagnérienne
confirmée, qui serait sans doute plus à sa place dans les Wesendonck Lieder,
a une voix magnifique, puissante, égale sur toute la tessiture, charnue sans
être trop corsée, presque « sopranisante », mais ici, face au projet ambitieux
que propose ce concert, où elle semble d’ailleurs peu impliquée, elle ne tient
pas ses promesses et l’ambiance crépusculaire dans laquelle baignent toutes
ces œuvres finit par passer à la trappe, en raison du manque de nuances et de
couleurs de son interprétation.
De plus dans une salle comme
l’auditorium du Musée d’Orsay, dont les dimensions sont bien loin d’égaler
celles de l’Opéra Bastille, point n’est besoin de donner un tel volume. Dans
l’ensemble, Naef chante tout trop fort, surtout Zemlinsky et Schönberg, où
l’on passe presque constamment du forte au fortissimo et le résultat est assez
déséquilibré, surtout avec un orchestre aussi raffiné, et chambriste.
Heureusement, dans Mahler, elle fera l’effort de dompter un peu sa voix et
d’apporter quelques nuances. Décidément, le vieil adage « qui peut le plus
peut le moins » ne s’applique guère à cette jolie femme distinguée, élégante
et souriante dont les capacités d’émotion, du moins dans ce répertoire,
semblent plutôt limitées. Préférant de manière évidente le son au sens du
texte, son chant, certes irréprochable sur le plan technique, a quelque
chose de poli, de policé et de propre, aux antipodes de l’univers mortifère,
« mélancolique », presque au sens clinique (autre grande exposition à voir
actuellement « La Mélancolie ») qui caractérise cette musique.
Envolées, donc, les
déchirures de Zemlinsky, contraint par la montée du nazisme, qui lui interdira
de continuer à diriger des orchestres et à composer, de fuir aux Etats-Unis où
il mourra, désespéré, en 1942 ; oubliées les humiliations de Mahler, qui dut
se convertir au catholicisme pour pouvoir devenir Directeur de l’Opéra de
Vienne ; disparues, les souffrances de Schönberg et de bien d’autres, tous ces
fantômes qui hantent encore Vienne et pour longtemps.
Juliette Buch