Il y a
des concerts où vous vous rendez les yeux fermés, persuadé de ne pas être
déçu, mais au contraire ragaillardi par un répertoire familier et des
interprètes au sommet de leur art. En l’occurrence, c’est aussi la gourmandise
qui vous ramène au soprano gorgé de soleil et délicatement corsé de Roberta
Invernizzi. Cependant, ce confort a parfois un prix. S’il ne faut pas attendre
d’émotions fortes ni de grands frissons de la première partie du programme, à
l’entrain contagieux du jeune Haendel et à l’admiration béate que suscitent la
rondeur, la sensualité d’une voix radieuse et l’aplomb d’une impeccable
virtuose, succède assez vite un sentiment de frustration, sinon de
perplexité : tout est parfaitement rodé, savamment calculé et dosé, mais ce
contrôle absolu ne laisse aucune place à l’aventure, à la spontanéité.
N’est-ce pas pourtant la valeur ajoutée du concert ? La prise de risque,
l’abandon à l’inspiration du moment, même dans des pages légères, motivent le
déplacement du public et pimentent le bonheur des retrouvailles. Dans les
cantates comme dans le concerto pour hautbois, la Risonanza est au diapason :
lecture solide et sans failles, vitaminée, carrée mais sans surprise. Un cran
en dessous, l’aria brillante qui clôt Figlio d’alte speranze donne
l’impression que la chanteuse s’économise, ce qui n’est pas impossible car la
pièce qui l’attend est d’une tout autre envergure…
De fait,
si la fraîche et lumineuse Tra le fiamme évoque l’oratorio
La Resurrezione
composé quelques mois plus tard (1708), Il Delirio amoroso forme un
véritable drame lyrique miniature et annonce les chefs-d’œuvre à venir. Plus
vaste et fantasque, éminemment baroque dans ses contrastes et ses climax,
cette cantate exige, au même titre qu’une Lucrezia, un chant
intensément vécu comme seules les vraies personnalités peuvent en délivrer. De
gentils merles (Deborah York), de jolis rossignols (Maria Zadori) ont éludé
ses enjeux, mais la plainte amoureuse d’une Kozena (« Per te lasciai la luce »)
nous a vrillé l’âme. Roberta Invernizzi sculpte le récitatif avec plus de
naturel – un naturel que l’on aurait tort de prendre pour de la désinvolture
–, ses vocalises semblent également couler d’une source moins agitée (« Un
pensiero voli in ciel »), mais au gré d’un lamento insoutenable, la
plénitude et la morbidezza d’aigus dardés submergent l’auditeur, pour
qui l’onde douloureuse se double aussi d’une vague de plaisir. Heureusement,
avec le poison, Haendel fournit l’antidote : c’est la caresse mélancolique,
mais chaude, apaisante du violoncelle. Galvanisés par leur héroïne qu’ils
couvent du regard, les musiciens de la Risonanza se ressaisissent et assurent
avec brio les changements de décor, en particulier l’entrée majestueuse et le
virevoltant menuet qui nous transportent sur les bords de l’Achéron (ou de la
Seine ?) pour le lieto fine d’usage. La mise en bouche fut longue, mais
l’attente récompensée.
En
présentant le bis, une aria extraite du Duello amoroso
pour soprano et contralto, Fabio Bonizzoni dévoile le projet d’une intégrale
des cantates de Haendel. A bon entendeur…
Bernard Schreuders