Certaines
soirées musicales peuvent vous apporter une sensation de bien-être
et de douce sérénité qui font que vous ne vous apercevez
pas du temps qui passe, que acceptez totalement de menues imperfections
et repartez tout simplement heureux. C'est exactement l'impression produite
par Iolanta au Châtelet, donné dans sa version concert.
Dernier opéra de Tchaïkovski,
c'est une oeuvre attachante, assez courte et bien construite, dont le livret
nous conte un jolie histoire (une princesse aveugle à qui on cache
sa cécité et qui retrouvera la vue grâce à l'amour
d'un prince) un peu gâchée par les bondieuseries du derniers
choeur, mais qui bénéficie d'une partition riche en superbes
mélodies. Certes, nous n'atteignons pas les sommets d'Onéguine
ou de La Dame de Pique, mais cette oeuvre mériterait sans
aucun doute un traitement scénique. Cependant, elle passe déjà
très bien en version concert.
Il faut reconnaître que l'interprétation
nous aide énormément à oublier la sécheresse
d'une représentation lyrique sans décor ni costumes. La distribution
100% russe était entièrement dévouée à
cette musique. Marina Mescheriakova confirme ce qu'on avait ressenti lors
des représentations du Démon : le répertoire russe
lui va comme un gant et lui permet de développer sa voix chaude
et ample. Petit bémol : les aigus sont parfois un peu tirés
et le vibrato s'emballe parfois ; mais son interprétation est très
émouvante et inspirée. Notons également la Martha
d'Elena Manistina, impressionnante tant par la présence physique
que par la beauté d'une voix de mezzo tirant sur le contralto. On
attend son retour avec bonheur dans La fiancée du Tsar au
Châtelet en juin.
Parmi les hommes, le casting
était également à la hauteur avec une mention spéciale
pour Dimitri Hvorostovsky, qui a emballé le public avec son air
vaillant et viril. Impressionnant ! Serguei Leiferkus a lui aussi été
parfait. Il faut avouer que les deux rôles semblaient être
taillés sur mesure pour ces deux grands chanteurs. Sergueï
Alexachkine remplaçant Vladimir Ognovenko n'a pas démérité
: même si la voix commence à donner de sérieux signes
de faiblesse, la musicalité demeure. Quant au ténor Gegam
Grigorian qui hérite très certainement de la partition la
plus difficile, il semblait visiblement souffrant. Sa voix s'est plusieurs
fois engorgée dans les graves. Mais on ne peut qu'admirer la technique
de l'artiste qui a su se dégager de ce péril et nous réserver
quelques aigus éclatants.
L'orchestre philharmonique de Saint
Petersbourg a fait bien meilleure impression que celui du Théatre
Marinsky, même si le prologue interprété par les vents
était quelque peu cafouilleux (mais visiblement très difficile).
La direction, très ample, de Youri Temirkanov a su traduire tout
le charme lyrique de cette oeuvre. Excellente prestation des choeurs de
Radio France. Le seul reproche qu'on puisse leur faire, c'est un comportement
peu professionnel en termes de placement (échange de place, passage
d'un gradin à l'autre) et l'attitude affalée de certains
choristes.
Bref une soirée bien plus réussie
que les récentes représentations du Démon
et d'Eugène Onéguine. Pour la saison russe du
Châtelet, il était temps !
Bertrand Bouffartigue