Une création mondiale est toujours
un événement mais aussi, souvent, un risque. Avec Ion,
du compositeur anglais d'origine indienne Param Vir, on peut dire que l'Opéra
du Rhin a eu la main heureuse et a réussi son pari, non seulement
du fait de la qualité de la partition, mais aussi de la réussite
artistique de cette production.
Auteur de deux opéras de chambre,
Param Vir, élève d'Olivier Knussen, offre là son premier
"grand" opéra. Cet ouvrage se fonde sur un livret de David Lan,
d'après Euripide, que Param Vir n'hésite pas à qualifier
de "cadeau pour un compositeur" de par sa richesse thématique :
Ion, serviteur du temple d'Apollon, ne connaît ni son père
ni sa mère. La princesse Créüse, elle, est à
la recherche de son fils unique, fruit du viol d'Apollon, qu'elle abandonna
par honte. Suite à un mensonge des dieux, Ion croit voir son père
en la personne de Xouthos, l'époux de Créüse. Celle-ci,
furieuse d'apprendre que son mari a eu un enfant sans elle, décide
de tuer Ion... sans succès. Ion tente à son tour de tuer
celle qui a voulu sa mort, mais la Pythie apparaît avec le berceau
de Ion et apprend aux deux personnages leur véritable identité
et ce qui les unit. La mère et le fils finissent par s'accepter
et s'aimer.
Une telle intrigue offre effectivement
un bel éventail de situations et des figures plus qu'intéressantes.
Le compositeur a voulu caractériser musicalement les protagonistes
et signifier leur différence sociale (dieux, citoyens, esclaves)
en recourant à une orchestration et des modes particuliers. Par
exemple, les servantes de Créüse ne sont jamais soutenues par
les cordes, celles-ci étant réservées aux personnages
humains. Ainsi, la confidence de Créüse à son serviteur
est accompagnée par un magnifique solo obbligato de l'alto.
La couleur modale de la musique de Vir, ses résonances orientales
et parfois messianesques, son lyrisme vocal, la virtuosité de son
orchestration rendent cette musique atonale particulièrement séduisante.
En revanche, on reprochera aux trois premiers tableaux un climat trop souvent
paroxystique, qui ne ménage guère de respirations à
l'auditeur. L'effet de longueur qui en découle se trouve accentué
par le regroupement des trois tableaux dans la première partie du
spectacle, la seconde étant uniquement consacrée au quatrième
tableau. Celui-ci contient davantage de plages calmes, mais il se termine
par une surprenante scène où la déesse Athéna,
incarnée par un soprano coloratura, jubile dans des vocalises
pyrotechniques.
Dans cette partition très exigeante,
l'équipe réunie impressionne par son aisance et les qualités
de sa réalisation. A commencer par la direction, d'une vigueur et
d'une maîtrise remarquables, de Michael Rafferty (directeur du Music
Theatre Wales, ce chef n'a pas moins de cinquante productions lyriques
contemporaines à son actif !), à la tête d'un Orchestre
symphonique de Mulhouse époustouflant et véritablement superbe.
La distribution est dominée
par le Ion de Michael Bennett et la Créüse de Rita Cullis.
Le premier, mis à rude épreuve par une écriture très
tendue, comble par un chant d'une finesse, d'une intelligence et surtout
d'une expressivité magnifiques. L'artiste est particulièrement
émouvant dans la scène finale, son investissement vocal et
scénique est total : il ne fait qu'un avec son personnage. Une réussite
de plus dans le parcours de ce jeune et brillant chanteur.
© Alain Kayser
On retrouve les mêmes qualités
chez Rita Cullis. L'autorité de la chanteuse convient particulièrement
bien au personnage de cette femme tourmentée. Le récit de
l'abandon de son enfant au troisième tableau est un des moments
forts de la soirée. La performance de ces deux chanteurs nous
offre une scène finale - où mère et fils s'interrogent
puis s'acceptent - absolument mémorable.
© Alain Kayser
Le Xouthos de Graeme Danby est excellent,
tout comme les cinq servantes de Créüse, sorte de choeur antique
sous la forme d'un quintette féminin d'une grande originalité.
Belles prestations de Nuala Willis en Pythie et de Mark Richardson dans
le rôle du vieux serviteur. On est par contre moins convaincu par
l'Hermès de Gwion Thomas ou l'Athéna de Louise Walsh, dont
on sent trop les limites. L'ensemble n'en forme pas moins une distribution
brillante.
Michael McCarthy réglait quant
à lui une mise en scène sobre et intense. Un bout d'escalier,
symbolisant le contact entre les dieux et les humains, se détache
sur un mur qui laisse plus ou moins apparaître, selon les scènes,
un pan de lumière se colorant en fonction des événements
(remarquable travail sur les éclairages). L'intelligence avec laquelle
est utilisé ce dispositif, couplé à une direction
d'acteurs simple mais efficace, évite toute lassitude et maintient
constamment en éveil l'intérêt du spectateur. Seuls
des costumes plus évocateurs et seyants auraient été
bienvenus.
Au final, un spectacle abouti, qui
sert magnifiquement une partition rutilante et semble avoir convaincu le
public. Param Vir souhaitait écrire une musique "compréhensible
à l'écoute avant tout et non à la lecture de la partition":
le pari est gagné. Son prochain opéra devrait mettre en scène
la vie de Bouddha.
Pierre-Emmanuel LEPHAY
Voir aussi notre
interview de Michael Bennett (rubrique
"Cinq questions à...")
Prochaines représentations
:
à Strasbourg : les 23 et 25
septembre à 20 h (renseignements : 03-88-75-48-23)
à Colmar : 1er octobre à
20 h (renseignements : 03-89-20-29-01)
à Mulhouse : 5 et 7 octobre
à 20 h (renseignements : 03-89-36-28-28)
Présentation détaillée
de l'oeuvre, biographie du compositeur ...
sur le Site de líOpéra du Rhin
: http://www.opera-national-du-rhin.com