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NEW-YORK
08/12/2007
Susan Graham
© DR
C.W. Gluck (1714 - 1787)
IPHIGENIE EN TAURIDE
Tragédie en 4 actes
1779 (Paris) – 1781 (Vienne)
Livret de Nicolas-François Guillard
D’après l’ouvrage de Guymond de la Touche
Basé sur la tragédie d’Euripide
Mise en scène : Stephen Wadsworth
Décors : Thomas Lynch
Costumes : Martin Pakledinaz
Lumières : Neil Peter Jampolis
Chorégraphie : Daniel Pelzig
Iphigénie : Susan Graham
Oreste : Placido Domingo
Pylade : Paul Groves
Thoas : William Shimell
Diane : Michele Losier
Première prêtresse : Lisette Oropesa
Seconde prêtresse: Sasha Cooke
Ministre Scythe : David Won
Clytemnestre : Jacqueline Antaramian
Agamemnon : Mark Capri
Chœur et Orchestre du Metropolitan Opera
Direction : Louis Langrée
New-York, Metropolitan Opera, 8 décembre 2007 (matinée)
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IPHIGENIE AU ZENITH
Longtemps cantonné aux ouvrages des XIXe et XXe siècles,
et aux œuvres de Mozart pour le XVIIIe, le Metropolitan Opera
poursuit l’élargissement de son répertoire,
commencé depuis quelques années avec Haendel, en
s’attaquant à l’« Iphigénie en Tauride » de Gluck, un opéra qui n’y avait pas été monté depuis 1917.
Pari réussi avec cette production montée avec faste et intelligence, réunissant un beau plateau musical.
Reprenant le rôle qu’elle interpréta il y a quelques mois à peine au Palais Garnier , Susan Graham
m’est apparue dans une forme encore plus éclatante, avec
une voix nettement mieux projetée, une maîtrise
remarquable du souffle, mais cette somptuosité musicale se fait
quelque peu au détriment d’une prononciation un peu plus
relâchée qu’à Paris. La production parisienne
engonçait la chanteuse dans le carcan d’une mise en
scène très fouillée : le spectacle
new-yorkais lui donne davantage de liberté et lui permet de
camper un personnage définitivement tragique que la fin heureuse
ne ramène aucunement à la sérénité.
A 60 ans bien sonnés, Domingo
est la curiosité de la soirée : le rôle est
généralement chanté par un baryton,
conformément à la création parisienne de
1779 ; il est ici interprété dans le ton aigu, la
transposition étant due à Gluck lui-même pour la
création viennoise en langue allemande de 1781.
Pour ce 125e rôle, le chanteur espagnol étonne encore par
la richesse de son timbre et sa forme physique. Placido campe un Oreste
intensément viril et mature : son interprétation
dramatique très engagée pourra d’ailleurs choquer
les amateurs sourcilleux (nous sommes ici dans une tradition
interprétative bien éloignée des apports de la
musicologie récente). Dans une certaine mesure, on pourrait
même dire que « Domingo fait du Domingo »
tant nous sommes loin des interprétations retenues et plus
délicates que nous entendons habituellement dans ce
rôle (on n’imagine pas que cet Oreste puisse flirter
une seconde avec Pylade). Vocalement, le chant manque un peu de legato
et le souffle est un peu court : Placido n’est donc pas
vraiment à l’aise en baryton et son chant perd de son
brillant habituel. Au global, rien de scandaleux, mais rien de
véritablement extraordinaire non plus : le ténor a
relevé son défi en tirant habilement son épingle
du jeu, mais cette prise de rôle ne marquera pas beaucoup sa
carrière.
Face à lui, Paul Groves
est tout simplement exceptionnel en Pylade : aisance sur la
tessiture, nuance, coloration, diction impeccable, font de ce chanteur
le véritable triomphateur du plateau. Rien à redire
à une telle musicalité maitrisée, le chanteur ne
se contentant pas de faire du beau son mais sachant conduire sa voix en
fonction des situations dramatiques. Compte tenu de la voix claire du
ténor américain et des couleurs cuivrées de celle
de Domingo, les deux timbres se complètent mieux que la
transposition pour deux ténors pouvait le faire craindre.
Suivant la version viennoise, le rôle de Thoas est ici transposé vers le bas. William Shimel est
efficace dramatiquement mais un peu approximatif vocalement. La diction
est bonne, la voix bien projetée, mais le timbre est un peu
usé et le legato sacrifié à la déclamation.
Michèle Losier
incarne une Diane simplement correcte : il faut dire que la mise
en scène est particulièrement exigeante,
l’obligeant à chanter tout en volant à plusieurs
mètres du sol suspendue à des filins.
A la tête de l’orchestre du Metropolitan, Louis Langrée
fait un travail remarquable en allégeant la formation pour lui
donner des couleurs plus « baroques ». Le chef
français sait également faire varier les ambiances en
fonction des scènes, évitant l’uniformité
qu’on peut regretter dans bien des interprétations
habituelles de l’ouvrage. Sa direction est une merveille
d’équilibre et de style.
Signalons enfin des chœurs excellents et au français bien
préparé. Les ballets quant à eux tiennent plus de
la gymnastique ou des exploits de Stomp mais
ils n’en sont pas moins efficaces, en particulier la scène
finale où les guerriers des deux parties s’affrontent dans
le temple dans une bataille chorégraphiée.
La mise en scène de Stephen Wadsworth est
à la fois intelligente et spectaculaire (nous sommes au
Met !). Dès le prologue, les événements
antérieurs sont exposés au travers d’un cauchemar
d’Iphigénie : sacrifice, descente des cieux de Diane
enlevant la jeune femme dans les airs et divers meurtres familiaux. Le
décor unique (qu’on pourrait réutiliser sans peine
pour une Elektra de Strauss ou pour un acte ou deux d’Aida)
représente l’intérieur d’un temple aux murs
rouge sang, éclairé de flambeaux. Sur le
côté, une salle plus petite servira de prison aux deux
héros grecs, mais sera également utilisée pour les
soliloques des personnages. La salle est flanquée d’une
sorte de donjon en ruine : la Tauride semble avoir connu des jours
meilleurs. L’atmosphère est oppressante et on comprend
bien que les sacrifices pratiqués ici ne sont pas des parties de
rigolade. Des murs épais séparent les pièces,
à l’intérieur desquels apparaissent parfois
Agamemnon ou Clytemnestre en transparence (ainsi, Oreste et
Iphigénie, chacun d’un côté de ce mur,
chantent en étreignant chacun une main de Clytemnestre). Pas un
détail de mise en scène qui ne soit gratuit dans cette
production riche et originale, mais très éloignée
des approches classicistes : Wadsworth tire franchement
l’ouvrage vers le XIXe siècle et sa vision est
radicalement noire, Iphigénie se refusant au happy end final.
Beau succès au rideau final pour ce spectacle non conventionnel
qui a fini par faire le plein grâce au bouche à oreille
d’un public d’abord réticent et finalement conquis.
Placido CARREROTTI
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