C O N C E R T S 
 
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MILAN
21/12/02
Iphigénie en Aulide

Opéra en 3 actes de Christoph Willibald Gluck
Livret de Marie François Louis Gand Bailli du Roullet dit Le Blanc
(ce qui est quand même plus pratique)

Iphigénie : Irini Tsirakidis
Agamemnon : David Pittman-Jennings
Achille : Stephen Mark Brown
Clytemnestre : Robynne Redmon
Diane : Serena Daolio
Patrocle : Giovanni Battista Parodi
Calchas : Ildar Abdrazakov
Arcas : Marco Spotti
Généraux grecs : Alfredo Nigro & Christian Senn
Trois Grecques : Alessandra Ruffini, Sara Alegretta & Milijana Nikolic
Une Grecque : Marta Vandoni
Une esclave lesbienne : Nino Surguladze

Choeurs et Orchestre du Teatro alla Scala
Direction musicale : Riccardo Muti
Production : Yannis Kokkos
Chorégraphie : Mischa Van Hoecke
 

Milan, Teatro degli Arcimboldi,
le 21 décembre 2002


Pour cette nouvelle saison, Riccardo Muti s'attaque cette fois à la rare Iphigénie en Aulide de C.W. Gluck, choix courageux pour la première ouverture se tenant au Teatro degli Arcimboldi (la dernière reprise milanaise remonte à 1959). Maître d'oeuvre d'une magnifique Iphigénie en Tauride à la Scala il y a une dizaine d'années puis d'une belle Armide, Muti clôt ainsi la "trilogie française" du compositeur.

L'ouvrage suit de près la tragédie de Racine, inspirée d'Euripide, dont elle réduit à trois les cinq actes :
Au début de la guerre de Troie, Agamemnon est bloqué en Aulide par des vents défavorables. 
Calchas lui révèle qu'il doit sacrifier à Diane sa propre fille Iphigénie. Celle-ci accepte de se plier à la volonté des dieux, mais son fiancé Achille, prévenu par Agamemnon, s'oppose au sacrifice.
Diane, bonne fille, accorde d'une main sa grâce et de l'autre les vents attendus.
Dans la version originelle, Iphigénie épouse Achille, mais Riccardo Muti a préféré introduire le final de la version arrangée par Richard Wagner et créée en allemand à Dresde en 1847 : en contrepartie de l'annulation du sacrifice, Iphigénie doit devenir la prêtresse de Diane en une contrée éloignée (en Tauride, pour ceux qui n'ont pas vu le second épisode).

Nous entendons donc ici la musique de Wagner et les vers allemands retraduits en français pour cette reprise, choix curieux de la part d'un maestro considéré comme étant d'une fidélité absolue aux partitions, et qui ne corrige pas de manière très convaincante les faiblesses évidentes du final originel.

Le mythe est quant à lui plus cruel encore : Iphigénie, trompée par son père qui l'attire en Aulide en lui promettant la main d'Achille, sera égorgée sur l'autel d'Artémis devant l'armée grecque réunie ; cet acte inspirera à Clytemnestre la haine qui l'amènera au meurtre d'Agamemnon.

L'ouvrage tient une place à part dans l'histoire musicale. Vingt ans auparavant, la Querelle des Bouffons avait vu s'affronter les tenants de la tragédie lyrique illustrée par Rameau et ceux de l'opéra italien, supposé "plus naturel" et défendu par Rousseau. Comme toujours aussi clairvoyant, le Genevois aura ce trait définitif : "Les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir, ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux !" Tout en ménageant habilement le philosophe, l'ancien professeur de musique de Marie-Antoinette propose avec cette première Iphigénie une synthèse de la tragédie lyrique française et des vertus de simplicité de l'opéra italien. Pour nos oreilles "modernes", il y a une certaine distance entre les ambitions affichées et le résultat obtenu : Gluck ira plus loin dans ses compositions ultérieures. Mais, même ainsi, l'oeuvre constitue effectivement la première pierre d'un certain renouveau du drame lyrique.

L'ouverture n'est pas une pièce décorative mais une sorte de préface au drame qui va se jouer. Les airs sont d'une coupe sobre et digne et témoignent de la recherche d'une certaine "vérité" par l'absence d'ornementations décoratives. Le texte de Le Blanc est dans la même veine : il exige du chanteur des vertus déclamatoires bien rares à notre époque.

C'est malheureusement là que le bât blesse le soir du 21 décembre. Succédant à Violetta Urmana, Irini Tsirakidis est une Iphigénie hors de propos, au français incompréhensible, et qui n'a aucune conscience des richesses d'un texte auquel elle ne comprend visiblement rien. Mal à l'aise dans la tessiture, elle tente de faire de beaux sons là où l'on attend autorité et grandeur dans l'expression. Alternant avec Daniela Barcellona, Robynne Redmon est une Clytemnestre un peu plus investie, mais encore plus en difficulté vocalement et pas davantage compréhensible. David Pittman-Jennings, qui assure l'intérim de Christopher Robertson, aboie quant à lui plus qu'il ne chante.

Les autres chanteurs sont ceux de la première. En Achille, rôle de haute-contre très difficile à trouver de nos jours (voir l'article de Bernard Schreuders ), la Scala a eu l'idée intéressante de distribuer le ténor Stephen Mark Brown, habitué des tessitures rossiniennes (cf. notre critique du Siège de Corinthe à Lyon). Certes, la voix est un peu blanche, mais le style et l'engagement sont impeccables (et toutes les notes y sont !). On comprend enfin le texte, si important, de Le Blanc, et il est probable que Brown le comprenne aussi ! Ildar Abdrazakov est un Calchas de belle allure et les autres rôles sont correctement tenus.

Le 21, Riccardo Muti est toujours dans la fosse, mais je dois avouer que je ne retrouve pas les splendeurs orchestrales d'Iphigénie en Tauride, sans doute en raison de la réverbération excessive de la salle, qui vient gommer la précision légendaire du maestro.

La production de Yannis Kokkos est d'un classicisme de bon goût mais sans grand intérêt théâtral. Au premier plan, un plancher blanc et, à gauche, un grand escalier tout aussi immaculé. A droite, des sortes de figures de proue dorées, suspendues dans les airs (sans doute le port où attendent les bateaux grecs). Au fond, un décor confus de bosquets où évoluent quelques danseurs et quelques figurants dont on voit le sommet du crâne par le biais d'un gigantesque miroir incliné à 45°. Les quelque 250 costumes sont superbes. La direction d'acteur est réduite à sa plus simple expression : avec de tels chanteurs, inutile de dire qu'on s'ennuie ferme ! Les nombreux ballets sont en revanche bienvenus : la chorégraphie de Mischa Van Hoecke est simple et bien exécutée, en accord avec la musique.

Au global, une tentative intéressante, mais qui a peu de chances d'aboutir à la réintégration de l'oeuvre au répertoire courant des théâtres internationaux.

Placido Carrerotti
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