Un Beethoven très british
Que savons-nous de la musique populaire
irlandaise ? Avec nos esprits embués de musiques radiophoniques,
discographiques ou "supermercatiques" en tout genre, nos connaissances
se réduisent souvent à la mémoire lointaine d'une
ou deux mélodies qui nous reviennent au détour d'une improvisation
d'un musicien de jazz ou d'une adaptation sous forme de chanson française
diffusée sur une radio périphérique. Et que dire des
chansons populaires écossaises ou galloises ? Malgré les
efforts récents de groupes de musiques rock anglais qui ont remis
en vogue certaines ballades du temps jadis, nous sommes peu à reconnaître
des airs que nous aurions fredonnés dans notre jeunesse.
Pourtant que ces musiques sont charmantes.
A une époque où l'envahissement médiatique ne "polluait"
pas les esprits, ces chansons populaires étaient connues de beaucoup.
Bien sûr, celles du Royaume-Uni restaient de l'autre côté
de la Manche. Les chansons napolitaines étaient fixées dans
le sud de l'Italie jusqu'au moment où les Caruso et autres chanteurs
italiens les ont exportées dans leurs tournées internationales.
Qu'en restent-ils, sinon quelques "Finuculi, funicula" ânonnés
de la même manière que notre "Frère Jacques" pourrait
être chanté dans une chaumière hollandaise ou une isba
sibérienne !
Depuis 1806, Beethoven était
en relation avec un éditeur d'Edimbourg. Ce dernier lui demande
d'harmoniser des mélodies populaires britanniques. Quatre ans plus
tard, le compositeur lui envoie une cinquantaine d'airs arrangés
pour voix, piano, violon et violoncelle. Un travail qu'il continuera jusqu'en
1816. C'est une partie de ces oeuvres (souvent considérées
comme mineures) d'un Beethoven très british que les trois
chanteurs britanniques accompagnés de Jérôme Hantaï
au pianoforte, Alessandro Moccia au violon et Alix Verzier au violoncelle
ont offert au public lausannois.
Difficile de juger du travail "beethovénien"
dans ce récital. En effet, c'est au moment des bis qu'on peut réellement
prendre la mesure du relookage apporté à ces mélodies.
Dans le fameux God save the Queen que chacun connaît, les
variations et enjolivures de Beethoven apparaissent dans tout leur savoureux
humour. Il en va de même pour le Farewell song. Dommage que
les interprètes n'aient pas eu l'idée d'illustrer leurs airs
en les introduisant avec la mélodie originale, chantée a
capella. Leur franc succès se serait alors transformé
en un véritable triomphe.
Reste l'interprétation : admirable
! Les protagonistes offrent le plaisir évident d'un travail bien
fait, tous trois sont absolument irréprochables. Parfaitement au
fait de la signification de chaque poème, idéalement déclamé,
chacun collant au plus près du texte, ce récital s'affirme
un petit régal. Rien ne semble jamais ni forcé, ni superflu.
Quant aux trois accompagnateurs, ils semblent visiblement satisfaits d'être
si pleinement associés à ce bonheur musical.
S'exprimant en solistes ou en groupe,
personne ne cherche à s'approprier la scène. Cependant, on
peut apprécier, en particulier dans The Soldier's Dream,
l'admirable phrasé et la voix chaleureuse du baryton Peter Harvey.
Tout comme l'impeccable conduite de l'instrument chez la soprano Sophie
Daneman (pourtant atteinte d'une évidente bronchite) dans un merveilleux
Faitfu' Johnie aux notes suaves et suspendues dans l'espace. Le
répertoire convient sans doute moins au ténor Paul Agnew.
Il semble plus retenu que ses collègues et il faut attendre un époustouflant
Comme Draw We Round a Cheerful Ring pour qu'il sorte enfin de sa
réserve.
Si ce concert s'avère typiquement
tea time, riche d'un humour de bon ton, la classe des interprètes
et l'intelligence musicale de Beethoven en font un véritable bijou.
Jacques SCHMITT
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Ludwig van Beethoven : Irish &
Scottish songs
1 CD Naïve E8850