Les pays nordiques ont le secret de
ces voix amples et généreuses. De ces voix d'une richesse
inépuisable qui ont grandi sous le soleil de minuit. Sigrid Onegin
et Kirsten Flagstad hier, Karita Mattila, Anne Sofie von Otter et Soile
Isokoski aujourd'hui sont les éblouissantes ambassadrices de cette
tradition.
Bien que très présente
à l'opéra, c'est bien dans le cadre intimiste du récital
que Soile Isokoski se dévoile totalement, jouant de sa stature et
de son autorité scénique avec une économie d'effets
qui donne sens au moindre de ses gestes. Le matériau vocal n'a a
priori rien d'exceptionnel, mais l'artiste finlandaise le transcende
et allie à un médium riche des aigus solaires. Le chant est
d'une grâce et d'une sûreté sans faille, la palette
de couleurs et d'émotions d'une diversité remarquable.
Le programme, sans avoir une thématique
musicale ou poétique particulière, se révèle
néanmoins d'une grande cohérence : univers de désolation
où les larmes se joignent aux adieux, parfois éclairés
par la chanson d'une jeune fille (Junge Lieder de Brahms) ou la
berceuse rassurante d'une mère (Marjatan laulu de Kuula).
Les figures féminines s'y succèdent sans jamais se ressembler.
On aurait pu croire que les mélodies
finlandaises, entourées de celles de Brahms et Schubert, n'étaient
là que pour populariser un répertoire méconnu en France.
C'est avec bonheur que l'on découvre qu'elles constituent au contraire
le coeur du programme. Les trois mélodies de Toivo Kuula n'ont rien
à envier mélodiquement à un Tchaïkovski, et ne
sont pas sans évoquer par leur univers harmonique et poétique
le symbolisme de Böcklin (au-delà du rapport évident
entre La Chanson de Sinikka et l'Ile des Morts). La pièce
d'Olli Kortekangas, Cet Instant, constitue par son effectif (soprano,
piano, clarinette et violoncelle) et sa durée le point culminant
du récital. Du cri au chuchotement, l'oeuvre demande beaucoup des
interprètes mais aussi du public. Le sentiment qui naît à
l'écoute de ces pages est une inquiétude mêlée
de fascination, due en partie à la combinaison des timbres des différents
instruments.
Le cycle Schubert réserve également
quelques surprises : autour de la figure mythique de Mignon, les lieder
avec violoncelle ou clarinette sont des joyaux d'une infinie beauté.
Der
Hirt auf dem Felsen atteint une plénitude et une intensité
remarquables, et fait écho à l'oeuvre de Kortekangas sur
un mode plus jubilatoire.
Envoûtant comme une aurore boréale.
Sévag TACHDJIAN