VIEUX
POTS ET BONNES SOUPES
Jean-Pierre Ponnelle créa,
pour Marilyn Horne, cette Italiana au Metropolitan en novembre 1973
(la mise en scène a d'ailleurs été vue dans d'autres
théâtres, comme la Scala).
Esthétiquement, le
spectacle accuse son âge : ses couleurs crème ont un peu vieilli
donnant aux décors et aux costumes un aspect légèrement
fané. Dramatiquement, en revanche, tout fonctionne encore à
merveille : une pointe de poésie, un humour jamais vulgaire (sans
cette avalanche de gags qui devient malheureusement la norme pour ce répertoire),
bref, encore et toujours un petit bijou. Et il en faut pour faire accepter
à un public qui a encore le drame du 11 septembre à l'esprit,
le torpillage d'un bateau européen par un musulman débonnaire.
L'étonnante Olga Borodina
incarne cette fois la rusée Italienne : après l'avoir entendue
dans des rôles aussi divers et parfois très lourds tels que
Carmen, la Marina de Boris, Dalila, Eboli ou Amneris, on reste confondu
par une telle aisance vocale. Suraigus, trilles, variations : rien ne lui
fait peur ! Tout est impeccablement exécuté dans le plus
intelligent respect des traditions belcantistes et on a entendu des spécialistes
de ce répertoire parfois beaucoup moins scrupuleux. Seul regret
: une coloration un peu uniforme qui a du mal à faire passer à
l'oreille l'espièglerie du personnage, alors que scéniquement
l'incarnation est parfaite.
A ses côtés,
Juan Diego Florez interprète avec urgence un Lindoro admirable ;
timbre lumineux, vocalises admirables, interprète à croquer
: voilà sans doute un de ses meilleurs rôles. Cerise sur le
gâteau, la voix passe bien mieux la rampe qu'au Palais Garnier où
elle paraissait parfois un peu perdue sur l'immense plateau quasiment désert.
Pour les puristes, précisons que Florez chante à l'acte II
la cavatine composée pour Milan par Rossini ("Concedi amor pietoso")
et non l'air traditionnel ("Oh come il cor di giubilo", d'ailleurs plus
excitant) écrit pour la création vénitienne par un
compositeur dont l'histoire n'a pas retenu le nom.
Ayant si souvent entendu
Ferruccio Furlanetto, je dois reconnaître que je ne fais même
plus attention à ses défauts vocaux (et notamment cette voix
totalement engorgée qui me révulsait il y a 20 ans). J'apprécie
un timbre demeuré intact et, surtout, un interprète hilarant,
mais qui sait éviter la caricature et faire passer la part d'humanité
de cet abominable Mustafa.
L'Américain Earle
Patriarco (que nous avons beaucoup entendu à Bastille en Ping, en
Pang ou en Pong, on ne sait pas trop) est un Taddeo irréprochable,
drôle, bien chantant et, pour une fois, jamais ridicule en amoureux
de la belle Italienne.
Lyubov Petrova tire bien
son épingle du jeu dans le rôle d'Elvira avec des aigus d'une
confondante facilité (dans le grand ensemble de l'acte I, Isabella
lui clôt même le bec d'autorité en lui appliquant sa
main sur la bouche !) et un abattage indéniable, mais elle fait
un peu pâle figure face à la Zulma de Sandra Piques Eddy ;
malgré une intervention somme toute limitée, on reste bluffé
par les capacités vocales de cette dernière : sans doute
un talent à suivre.
On retombe un peu avec le
Haly pas très assuré de Patrick Carfizzi qui interprète
sans grand brio l'air "Le femine d'Italia" (également apocryphe
et parfois coupé).
Joseph Colaneri remplace
au pied levé James Levine (qui dirigeait deux jours avant Tosca
et le lendemain Don Giovanni avant de reprendre Tosca : aurait-il
besoin d'argent pour s'acheter un écran plat ?). Compte tenu des
circonstances, on admire le professionnalisme du chef qui contribue lui
aussi à la réussite théâtrale de la soirée.
Placido Carrerotti