C O N C E R T S 
 
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GENEVE
04/11/04
Leos Janacek (1813-1901)

DE LA MAISON DES MORTS

Opéra en trois actes 

Livret du compositeur,
d'après Souvenirs de la maison des morts
de Fiodor Dostoïevski

Nouvelle production

Peter Mikulas (Goriantchikov)
Stéphanie Novacek (Alieïa)
Stefan Margita (Filka Morosov)
Ulfried Haselsteiner (Le Grand Prisonnier/Tchérévine)
Philippe Duminy (Le Petit Prisonnier)
Alexandre Vassiliev (Le Commandant)
Bernard van der Meersch (Le vieux Prisonnier)
Gordon Gietz (Skouratov)
Pavlo Hunka (Chichkov)
Guy Bonfiglio (Le Prisonnier Ivrer)
Alexandre Krawetz (Chapkine / Kedril)
Ales Jenis (Le Prisonnier / Don Juan)

Jiri Belohlávek, direction musicale

Ching-Lien Wu, cheffe de choeur

Pierre Strosser, mise en scène et décors
Patrice Cauchetier, costumes 
Joël Hourbeigt, lumières

Orchestre de la Suisse Romande
Choeur du Grand-Théâtre
Choeur Orpheus de Sofia

Genève, le 4 Novembre 2004


L'opéra de la misère humaine

On le dit souvent, un des rôles de l'opéra est de procurer du rêve. Avec De la maison des morts, Janacek installe le cauchemar. Le cauchemar de l'anéantissement humain. La négation de l'homme prisonnier d'un univers concentrationnaire. Un monde carcéral où il n'y a rien. Un monde de rien. Un vide terrifiant. Pour échapper à leur mortel destin, des criminels errant dans un cachot sombre et sans horizon tentent d'exister à travers la narration de leurs propres crimes. Cet unique épisode de leur pitoyable vie est leur raison d'être parce que, peut-être, dans ce néant existentiel, un autre condamné pourrait en écouter le récit. Infime satisfaction qui pourrait suffire à leur triste destinée. Ici, pas de luttes de pouvoir, ni de classes, personne n'est plus assassin que son voisin, plus voleur que l'autre. Seule reste la pauvre satisfaction d'être peut-être entendu.

Dans ce microcosme de misère humaine, le temps perd sa valeur. La mort demeure l'unique échéance tangible. Vaquant à des occupations fantomatiques, plombés sous des rangées de méchants plafonniers, les prisonniers déambulent, sans but. Ils cheminent lentement, évitant de heurter un voisin de peur de troubler la routine des jours. Des lits de fer recouverts d'une paillasse entourent les quelques tables et bancs de bois d'un hypothétique réfectoire bordant la tuyauterie des robinets et de la longue vasque faisant office de salle d'eau. Dans un angle, un prisonnier cuit inlassablement du thé. Les personnages de cette non intrigue sont peu à peu envahis de torpeur. Pour répandre cette lenteur, dans la grisaille des costumes et la noirceur du décor, pour faire vivre ces zombies sans que l'ennui s'installe chez le spectateur, il faut la patte d'un Pierre Strosser, passé maître dans la mise en scène. Il signe ici un spectacle admirablement douloureux, déclinant sans vulgarité le sombre, le gris, le brun, le sans relief aplati dans le non-espoir de ces hommes voûtés, écrasés par leurs passés ; même la pantomime de Don Juan, unique moment coloré de tout l'opéra, se révèle misérable tant se referme rapidement ce fugace instant de rêve humain, de rire.

En compatriote de Janacek, Jiri Belohlávek dirige sa musique avec un bel Orchestre de la Suisse Romande dont il tire d'insoutenables stridences aux violons, pour ensuite le laisser s'épancher dans les quelques rares intermèdes lyriques, plages de temps suspendu. Une musique parfois obsédante, qui de leitmotiv en répétitions, exprime sans cesse l'implacable emprisonnement de ces morts-vivants.

L'écriture vocale s'insinue dans les mêmes courtes aventures narratives. Pas de grands airs, mais quelques tirades lancinantes, entrecoupées par les interventions des autres protagonistes qui désirent être entendus à leur tour. Dès lors, il est difficile de situer une voix par rapport à une autre, chacun se projetant sur le devant de scène, prenant à témoin le public pour lui conter son aventure. Dans cette distribution d'une homogénéité remarquable, quelques chanteurs se distinguent pourtant. C'est le cas du baryton-basse Pavlo Hunka (Chichkov), qui s'investit avec une rare authenticité dans son personnage et offre l'un des moments les plus poignants de l'opéra, ainsi que du ténor Stefan Margita (Filka Morosov), dont l'à-propos vocal impressionne.

On pourra ne pas aimer la musique de Janacek, on pourra détester l'argument de cet opéra, mais si De la maison des morts n'apporte pas le rêve, la force de ce spectacle aura eu l'heur de questionner le spectateur responsable sur la condition humaine. Sans changer le monde mais en changeant l'homme, qui n'est plus le même après un tel spectacle ; n'est-ce pas la mission la plus noble de l'opéra ?
 
 
 

Jacques SCHMITT
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