Pâle Schubert
L'idée maîtresse du récital
de Dorothee Jansen était de présenter une soirée de
lieder de Franz Schubert dédiés à des femmes.
Louable prétexte que de faire découvrir des mélodies
et des poèmes rarement interprétés en récital.
D'ailleurs, qui connaît Justine Edlen von Bruchmann, Anna Milder-Hauptmann,
Marie Pachler, Mathilde-Theresia Schwarzenberg, Josephine von Franck ou
la Comtesse Sophie von Weissenwolf auxquelles cette soirée était
consacrée ? Si le précieux "Google" nous apprend que la seconde
chanta Eléonore du Fidelio de Beethoven devant Napoléon
1er et que Marie Pachler était une pianiste émérite
qui reçut Schubert à Graz, il ignore tout des autres dames.
Dans son premier air, Sei mir gegrüsst,
du poète Friedrich Rückert, la soprano allemande ne semble
pas encore avoir pris ses marques. La voix est impersonnelle, sans couleurs.
De plus, son attitude extrêmement contenue et sa mine figée,
impassible, laissent à penser que la jeune femme s'enferme dans
une concentration extrême. Sans l'esquisse d'un sourire, elle enferme
son récital dans un sérieux empesé. La gêne
s'installe dans le public. Comment chanter l'amour quand le coeur ne s'ouvre
pas à la musique ? Cette retenue, voire cette crispation porte fréquemment
Dorothee Jansen à la limite de la justesse. Mise au bénéfice
du trac, de la voix encore froide, on reste avec l'espoir d'une amélioration.
Malheureusement, dans Frühlingsglaube, l'impression première
se confirme. Le chant demeure sans intérêt. Il se fait scolaire.
Les passages du médium à l'aigu révèlent même
deux voix distinctes. Les mélodies suivantes n'apporteront guère
de changements, même si les problèmes de justesse ont semblé
s'atténuer.
Par la suite, on demeure sur cette
curieuse sensation d'inaccompli. Le malaise grandit, chacun observe discrètement
son voisin comme pour s'assurer qu'il partage les mêmes doutes. Tout
cela est si monotone qu'on a le sentiment d'entendre la même mélodie
sur des poèmes différents. (A moins que ce ne soit le contraire
!) On en vient presque à blâmer Schubert d'avoir été
si peu inspiré par les dames auxquelles il a dédié
ces lieder ! Ce n'est qu'au moment où Dorothee Jansen aborde
le célèbre An Silvia sur le poème de William
Shakespeare que se confirme le fossé séparant la soprano
du monde musical du compositeur. Chantant sans émotion, la voix
presque totalement blanche, la diction souvent peu claire, la soprano allemande
confirme une étonnante faiblesse vocale et interprétative.
Après l'entracte, le schéma
se reproduit à l'identique. Avec la même constance, la justesse
fait défaut dès le premier lied (Nur wer die Sehnsucht
kennt) et la monotonie interprétative s'installe dès
les airs suivants. On assiste avec étonnement à un récital
digne d'un examen de conservatoire alors qu'on espère celui d'une
cantatrice avérée. Dans le célèbre Ave Maria,
qui devait clore sa prestation, Dorothee Jansen chante les notes sans jamais
les "dire". Son hymne à la Vierge n'est alors plus qu'un affligeant
Requiem !
Au terme d'un récital, libérés
de la tension du concert, les artistes offrent des bis souvent délirants
et décontractés. Malheureusement, ici il n'en est rien. Quand
la blonde soprano attaque Die Forelle, si la mélodie se reconnaît,
rien dans l'interprétation de la chanteuse ne laisse transparaître
ce que raconte ce poème.
Chantant tout son récital par
coeur, Dorothee Jansen en a démontré la bonne préparation.
Pourtant, c'est un bien pâle Schubert que la jeune soprano nous fait
découvrir. Alors, souffrante ? Pourquoi ne pas en avoir fait l'annonce
? De son côté, le pianiste britannique Francis Grier n'a pas
réussi à épicer le récital de la jeune femme.
Dans son jeu, il fut à l'image de la soprano allemande : propre,
lisse et terne. Sans plus.
Jacques SCHMITT