C O N C E R T S 
 
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NANCY
(Opéra National du Rhin)
JENUFA

Leos JANACEK

Jenufa - Eva Jenis
La Kostelnicka - Helga Thiede
Laca - John Horton Murray
Steva - Kevin Anderson
L'aïeule - Sheila Nadler
Le Maire - Jean-Philippe Marlière
Sa femme - Carole Chabry
Le contremaître - François Harismendy
Barena - Eve Christophe
Jano - Cassandre Berthon
La tante - Olga Zimovetz
Une villageoise - Régine Fruchout
Un vieux paysan - Xavier Szymczak

Choeurs  des Opéras de Nancy et de Montpellier
direction - Merion Powell et Noëlle Gény
Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy

Direction musicale - Sebastian Lang-Lessing
Mise en scène - Jean-Louis Martinelli
Décors - Gilles Taschet
Costumes - Patrick Dutertre
Lumières - Marie Nicolas
Chorégraphie - Odile Befve

Nouvelle production

23 juin 2002 (2ème représentation sur 5)



Pour moi, toute nouvelle production de Jenufa se trouve confrontée au spectacle mémorable du Châtelet en 96. Dirigée par Simon Rattle, mise en scène par Stéphane Braunschweig, chantée par Nancy Gustafson, Anja Silja, Philip Langridge, Graham Clark, cette production restera l'un de mes plus beaux souvenirs lyriques, et le plus gros triomphe auquel j'ai assisté.
Cette production touchait, remuait, bouleversait, du fait d'une alchimie parfaite entre chef, chanteurs et metteur en scène. Les opéras de Janacek ne marchent, je crois, qu'au prix d'un intense travail d'équipe et d'une vision scénique puissante qui entraîne le tout. On aura beau rassembler des chanteurs convaincants et un chef passionné, le spectacle ne fonctionnera pas pour autant. Nous en avons eu la preuve à Nancy.

En effet, Sebastian Lang-Lessing fut excellent à la tête de son Orchestre Lyrique et Symphonique de Nancy, en constant progrès, mais qui se heurte malgré tout ici, à une partition à l'écriture extrêmement difficile et exigeante pour l'orchestre. Les raccords entre les nombreux et brutaux changements d'intensité, de tempo, de climat, se faisaient parfois sentir, mais on aura par ailleurs apprécié des soli magnifiques du premier violon, ainsi que du pupitre des cors, bien plus sûr que dans le récent Tannhaüser. Tout juste reprochera-t-on à Sebastian Lang-Lessing d'avoir fait jouer "Jalousie", cette superbe et intense pièce orchestrale (initialement prévue par Janacek pour être l'ouverture de l'opéra) au début du 3ème acte. Elle n'a non seulement rien à faire dans la représentation (puisque Janacek l'a finalement écartée), et certainement pas au début du 3ème acte où le climat est plutôt détendu. Curieuse idée, d'autant plus que Sebastian Lang-Lessing avait dirigé cette pièce durant un des concerts symphoniques de l'Orchestre quelque temps auparavant.

L'équipe de chanteurs réunie était belle, mais pas totalement convaincante. Eva Jenis est une familière de Janacek (elle a déjà chanté Katia Kabanova, notamment à Nancy, ainsi que la Petite Renarde Rusée, notamment dans une superbe production au Châtelet là encore), mais c'était pourtant ici sa première Jenufa. La chanteuse est à l'aise dans cet univers, elle touche par un chant nuancé et une incarnation vivante, mais je trouve que la voix, assez imposante et large, manque de fragilité, d'innocence et de vulnérabilité, qualités propres au personnage de Jenufa (la voix d'Elisabeth Sodeström, par exemple, était absolument parfaite pour ce rôle).
Helga Thiede possède par contre la voix idéale pour la Kostelnicka, une solide voix de soprano, très imposante, avec des aigus à la Anja Silja, très perçants et puissants, la ressemblance entre les deux chanteuses était parfois frappante. Mais que manque-t-il donc à Helga Thiede pour atteindre au sublime d'Anja Silja dans ce personnage ? Le génie, l'aura, du moins, l'émotion, tout simplement. En effet, si Helga Thiede possède la voix du rôle, impressionne par son chant, elle ne touche pas et pratiquement à aucun moment elle n'émeut... C'est un peu un comble pour ce rôle en or, mais c'est pourtant le constat amer que l'on est obligé de faire...

Avec le Laca de John Horton Murray, nous avons et la voix, et l'émotion. Très beau. Tout juste peut-on peut-être lui reprocher de ne pas avoir le physique idéal du personnage (il faisait un peu trop âgé...). Par contre, Kevin Anderson a le physique idéal du rôle de Steva... mais pas la voix...!  En effet, les aigus, souvent sollicités, manquaient d'ampleur, de "soleil", et si l'incarnation était réussie, la voix ne traduisait pas assez le côté vantard et insolent du personnage. Sheila Nadler était très (trop ?) sonore en aïeule, tandis que la voix de Cassandre Berthon (Jano) m'a paru entachée d'un vibrato serré assez désagréable dans l'aigu. La famille Rychtar (le Maire, sa femme et sa fille) apportait plus de satisfaction, surtout le Maire de Jean-Philippe Marlière, ainsi que le contremaître de François Harismendy. Les choeurs, de Nancy et Montpellier, étaient superbes.

Venons-en maintenant à la mise en scène, de Jean-Louis Martinelli, qui est, je crois, responsable de la déception d'ensemble. Son principal défaut était le manque d'intensité, de force, d'émotion. Si elle n'était pourtant pas dénuée d'idées, notamment parfois dans la direction d'acteurs, elle était par ailleurs curieusement pauvre,  tournait à vide, ou était carrément "à côté" dans certains moments-clé, comme les fins des 1er et 2ème actes assez consternantes. Ainsi, à la fin du 1er acte, Laca donne le coup de couteau à Jenufa de manière très lente, alors que tout, à commencer par la musique, laisse à penser que c'est un geste impulsif et violent. De même, tandis que la musique tournoie ensuite dans un tourbillon étourdissant, symbolisant l'agitation et l'émotion des personnages, l'immobilisme que l'on voit sur scène semble complètement hors de propos, le comble étant le contremaître qui apostrophe Laca fuyant et ce, derrière une chaise, sans même le regarder...! On avait en fait l'impression que les chanteurs étaient tantôt bien dirigés, tantôt parfois complètement laissés à eux-même...

D'autres moments de paroxysme musical ne trouvaient pas d'équivalent dans la mise en scène, telle une trop sage fin de 2ème acte ou encore, au 3ème acte, quand la foule crie sur Jenufa : "Lapidez-là", après que l'on a découvert le cadavre de son enfant, on ne voit personne s'en prendre à Jenufa, et quand Laca crie : "Que nul ne se risque à la toucher, je vous achèverais de mes poings nus", cela tombe complètement à plat (le pire est que Laca jette alors un figurant à terre, alors que celui-ci n'avait strictement rien fait auparavant !! Ridicule).

Notons enfin que durant le final du 3ème acte, lorsque Laca et Jenufa se retrouvent seuls, Jenufa ne semble nullement heureuse de voir Laca rester avec elle malgré tous les événements, pourtant, là encore, le texte et la musique ne laissent plus croire à un mariage de raison, mais véritablement à un mariage d'amour...

Bref, une mise en scène qui passe trop à côté de la musique. Vu le parcours de Jean-Louis Martinelli, il semble que cette Jenufa ait été l'une de ses premières mises en scène lyrique. Cela montre une fois de plus que l'on ne s'improvise pas metteur en scène d'opéra, et que réussir au théâtre n'implique pas forcément réussir à l'opéra...
 
 

Pierre-Emmanuel LEPHAY
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