La saison
lyrique 2002-2003 du Théâtre du Châtelet est décidément
bien singulière avec des créations décevantes (Le
Démon, Eugène Onéguine) et des reprises intéressantes
comme Le Coq d'Or (malgré
une distribution inégale) voire passionnantes comme cette Jenufa
proche de la perfection.
La mise en scène de Stéphane
Braunschweig avait déjà fait sensation en 1996. Elle n'a
visiblement pas pris une ride. La sobriété des décors
(de simples panneaux de bois sur un sol blanc neigeux), la beauté
de certains effets (les ailes rouges du moulin à vent, la lumière
sur le lit d'enfant, la neige noire...) et la direction d'acteurs soulignent
avec finesse et intelligence la force des thèmes abordés
dans le chef d'oeuvre de Janacek. Ce drame villageois bénéficie
d'un livret d'une richesse dramatique peu commune avec des thèmes
universels tel l'amour bafoué, l'honneur familial, l'obsession,
la folie, la mort... Et ce n'est pas la fin heureuse (Jenufa après
avoir pardonné trouvera l'amour, le vrai) qui en appauvrit l'impact.
La musique de Janacek, mêlant thèmes folkloriques et leitmotivs
obsessionnels, exacerbe les passions et les sentiments que la sobriété
de la mise en scène met admirablement en valeur. Braunschweig au
même titre que Chéreau est un homme de théâtre
qui a compris l'alchimie entre art lyrique et art dramatique, élément
qui manque cruellement à des metteurs en scène uniquement
spécialisés dans l'opéra.
La distribution est exceptionnelle.
Les personnages principaux sont très complémentaires dans
leur registre avec un Steva (Gordon Gietz) à la fois vaillant et
lâche et un Laca (Stefan Margita à la projection étonnante)
cloîtré dans son amour qu'il finira par assouvir.
Rosalind Plowright est surprenante
surtout pour l'auditeur qui ne la connaissait que par ses interprétations
verdiennes des années 80. Le timbre s'est bonifié avec le
temps et la voix est devenue dramatique au sens noble du terme. A cela
se rajoute une vraie attitude de tragédienne (peut-être un
peu excessive par rapport à la sobriété de l'ensemble
de la production) qui rend la fin du deuxième acte inoubliable.
Certains disent qu'elle ne fait pas oublier Anja Silja qui interprétait
la sacristine en 1996. Peut être... mais lorsque l'on n'a pas vu
Silja on reste impressionné.
Karita Mattila était souffrante
au cours des répétitions. Par chance, elle semble avoir retrouvé
tous ses moyens vocaux - et quels moyens ! La voix est belle, libre, homogène,
expressive. Comme Plowright, elle est totalement habitée par ce
rôle, femme victime d'une tragédie dont elle sortira finalement
victorieuse.
Si l'on peut peut-être reprocher
à Sylvain Cambreling de faire jouer l'Orchestre de Paris un peu
fort par rapport au plateau, on ne peut qu'admirer un travail de mise en
relief de tous les détails instrumentaux de cette superbe partition.
L'orchestre devient un véritable témoin du drame.
En résumé, un très
grand moment, certainement l'un des meilleurs spectacles lyriques de la
saison.
Bertrand Bouffartigues