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TOULON
26/02/2008
© Frédéric Stéphan
Leos Janacek (1854-1928)
JENUFA
Opéra en trois actes (1916)
Livret du compositeur d’après la pièce
« Jeji Pastorkina » de Gabriella Preissova
Création à Toulon
Production de l’Opéra national de Lorraine
Mise en scène, Jean-Louis Martinelli
Réalisation, Ruth Orthmann
Décors, Gilles Taschet
Costumes, Patrick Dutertre
Lumières, Marie Nicolas
Jenufa : Helena Kaupova
Kostelnicka : Nadine Secunde
La grand-mère Buryja : Zlatomira Nikolova
Laca : Peter Svensson
Steva : James McLean
Le contremaître : Sergeï Stilmachenko
Le Maire : Jean-Marie Frémeau
La femme du maire : Christine Solhosse
Karolka : Olivia Doray
Pastuchina : Yana Boukoff
Barena : Inge Dreisig
Jano : Anna Kasyan
Chœur de l’Opéra Toulon-Provence-Méditerranée
Chef de chœur, Catherine Alligon
Orchestre de l’Opéra Toulon-Provence-Méditerranée
Direction musicale, Friedrich Player
Toulon, le 26 février 2008
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Pari risqué mais tenu
Concurrence d’un concert donné le même
soir par un grand du piano ou frilosité d’un public
crispé sur ses habitudes, la dernière
représentation de Jenufa
n’a pas attiré la foule des grands soirs. Eh bien les
absents ont eu tort : non seulement le lyrisme de la partition de
Janacek a été canalisé de main de maître par
Friedrich Pleyer mais la distribution réunie a offert de grandes satisfactions.
La production choisie, venue de l’Opéra National de
Lorraine, présente deux décors. Pour le premier, deux
parallélépipèdes grisâtres se font face,
délimitant un espace fermé dans le fond par un mur dans
lequel s’ouvre un portail coulissant. En arrière-plan,
surplombant le mur, une épaisse ligne noire qui figure un
chemin, sous un ciel blafard. On le retrouve au troisième acte
comme cadre des épousailles de Jenufa et de Laca. Au
deuxième acte, les deux bâtiments deviennent les parois
latérales de la maison de la Sacristine, réunies par un
grand mur tapissé d’icônes identiques
représentant la Madone, la Vierge à l’Enfant. Sans
doute la disposition géométrique des cadres dit-elle
quelque chose du caractère rigide du personnage, mais l’y
réduire est faire bon marché de sa complexité.
De plus, ni le traitement des formes ni les lumières ne rendent
sensibles la présence de la nature morave pourtant
évoquée par le romarin, l’espace de la campagne et
le bouquet de fleurs au premier acte, par l’hiver dont parle la
Sacristine au deuxième acte, enfin par les bouquets de romarin
et de géranium et la mention de la rivière au
troisième acte. Sans oublier les chœurs au premier et au
troisième acte dont le rythme dansant suggère des
réjouissances liées aux saisons. Or ce renouveau, outre
son rôle dramatique, puisque c’est le dégel qui
révèle l’infanticide, participe au sens de
l’œuvre : il est la puissance de la vie organique, qui
nourrit le désir et contrecarre les fidélités, et
il est la foi dans la possibilité d’un nouveau
départ malgré les épreuves. La vision
proposée n’en dit rien.
Ajoutons, au chapitre des réserves, quelques négligences
à l’acte deux, où Steva arrive chez la Sacristine
en plein cœur de l’hiver avec le même petit blouson
qu’à l’acte un, et jette de longs regards dans la
chambre où se trouvent Jenufa et l’enfant alors
qu’il est censé refuser de s’en approcher
malgré les prières de la sacristine.
© Frédéric Stéphan
Heureusement l’exécution musicale et vocale est bien plus
satisfaisante. Les forces de la maison abordent avec bonheur
l’œuvre de Janacek, tant pour le chœur que pour l’orchestre.
Friedrich Pleyer dose au plus juste les expansions sonores sans pour
autant les brider et soutient sans relâche les chanteurs, qui
viennent à l’avant-scène quand la puissance de
l’orchestration rivalise avec la leur. En de nombreuses occasions
c’est la précision et le lyrisme d’ensembles
chambristes qui émanent de la fosse. Du beau travail !
Les rôles secondaires sont sans défaut. La vachère de Yana Boukoff, la servante d’Inge Dreisig, la femme du maire, Christine Solhosse, le maire, Jean-marie Frémeau, Karolka, Olivia Doray, et jusqu’au Jano d’Anna Kasyan, sans oublier le contremaître posé de Sergei Stilmachenko, tous ces interprètes réussissent en quelques phrases à caractériser justement leur personnage.
Cette qualité, les deux demi-frères la possèdent aussi ; James McLean
est bien le jeune coq égoïste soucieux seulement de
jouissances et incapable d’aimer sincèrement, tandis que Peter Svensson
a l’allure pataude du maladroit qui ne sait pas se rendre
aimable. Vocalement, ce dernier a semblé fatigué, donnant
l’impression de forcer à plusieurs occasions une voix
pourtant bien sonore.
© Frédéric Stéphan
Le brelan de dames, les trois générations de victimes, est superbement incarné. Zlatomira Nikolova
est une grand-mère convaincante, de tenue scénique et
vocale, sans aucune outrance. Ayant apparemment retrouvé sa
forme vocale Nadine Secunde
campe une Kostelnicka de haut vol, avec un vibrato bien
contrôlé ; elle allie la fermeté du premier
acte à l’émotion dans sa grande scène du
deuxième ; le personnage conserve une ambiguïté
qui le préserve de la caricature possible et lui garde la
complexité de son humanité. Une richesse égale
chez Helena Kaupova dont la
belle voix lyrique et le physique avantageux donnent vie à
Jenufa ; son éclat voilé d’inquiétude
s’obscurcit jusqu’au désespoir avec une justesse
d’accents éloignée des tentations véristes,
véritablement splendide.
Au rideau final, la chaleur et la durée des applaudissements
scandés réconfortaient : il y a bien, malgré
d’inévitables réticences, une audience à
Toulon pour les chefs d’œuvre qui sortent des sentiers
battus. Des commentaires saisis au vol disaient la satisfaction de
spectateurs venus par curiosité d’avoir découvert
la beauté de l’œuvre, sa force dramatique et sa
séduction musicale. Qu’ils en parlent autour
d’eux ! Ce serait dommage qu’un demi-succès de
billetterie nuise au renouveau de l’opéra à
Toulon !
Maurice SALLES
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