C O N C E R T S 

 
...

[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]


......

PARIS
(Notre-Dame)

08/03/2002

Johannes passion
Johann Sebastian BACH

Maîtrise de Notre-Dame de Paris (direction : Nicole Corti)
ENSEMBLE ORCHESTRAL DE PARIS
John NELSON (direction)

Solistes :
Kurt AZESBERGER (Evangelist)
Stephen MORSCHECK (Jesus)
Gerard SUNDBERG (Pilatus)
Rebecca EVANS (soprano)
Malena ERNMAN (mezzo)
John TESSIER (ténor)
David WILSON-JOHNSON (basse)
Jérôme HANTAÏ (viole de gambe)


Ce n’est un secret pour personne, depuis l’arrivée à sa tête de John Nelson en 1998, l’Ensemble Orchestral de Paris s’attache à étendre considérablement son répertoire en diversifiant les expériences, notamment dans le sens du baroque, avec plus ou moins de bonheur, comme en témoignent de récents concerts (La Senna Festeggiante de Vivaldi avec Fabio Biondi la saison dernière) ou enregistrements (Airs de Händel et Bach avec Stephanie Blythe ou L’Allegro, Il Penseroso ed Il Moderato du même Händel, tous deux parus à l’automne dernier chez Virgin Classics). On ne peut que se féliciter d’une telle initiative, surtout avec des résultats certes pas toujours fracassants mais dans l’ensemble plutôt probants.

Hélàs, si l’idée de s’attaquer à la Passion selon Saint Jean était bonne, si la distribution réunie l’était tout autant, on ne peut que déplorer le choix pour ce concert du lieu —Notre-Dame de Paris. Je comprends parfaitement que la tentation ait été grande de donner cette œuvre dans son lieu de destination premier —une église— ; mais n’y avait-il pas dans ce cas de choix plus judicieux ? Paris regorge de jolies paroisses aux dimensions variées, et il ne fait aucun doute qu'un lieu comme Saint-Roch, par exemple, aurait été un peu moins inadéquat que ne l’est l’immense vaisseau ornant l’Île de la Cité, dont la redoutable acoustique, extrêmement réverbérante, noyait complètement une musique complexe, et ce de surprenante manière de sûrcroit puisque seuls les extrêmes étaient portés —entendez par-là que si l’on avait le malheur de ne point être assis dans les cinq ou sept premiers rangs (donc, en résumé, si l’on n’était pas invité), l’on n’entendait que les flûtes et contrebasses (agrémentés à l’occasion d’une goutte d’orgue dans les récitatifs) dont émergeaient par (trop rares) moments la soprano, le ténor (dans l’aigu), la basse et les aigus occasionnellement craqués des altos masculins de la Maîtrise de Notre-Dame, le reste (autrement dit la quasi totalité de l’orchestre) étant réduit à l’état de magma sonore informe, grouillant, bouillonnant et marinant dans son jus tout au long des deux heures un quart que dure cette Passion.

(Fort heureusement, lorsque l’on est placée au quatrième rang, on se trouve en amont de l’œil du cyclone acoustique. Ajoutez à cela que juste en face de vous se trouve la petite estrade placée à l’intention des deux solistes féminins et vous vous dites alors que finalement la vie n’est pas si mal.)

Première des Passions (la première version date de 1724, et l’œuvre fut ensuite remaniée en 1725, ?30 et ?46-49), la Johannes Passion reprend, comme son titre l’indique, l’Evangile de Jean, augmentée de passage des celle Matthieu (le reniement de Pierre et le tremblement de terre), et offre au chœur une place de choix, tour à tour acteur du drame et comentateur compatissant, pendant que l’Evangéliste déroule en de longs récitatifs un récit distancié mais jamais indifférent. Les quatres solistes vocaux, eux, se voient gratifiés d’airs courts et peu nombreux, mais extraordinairement poignants, contrairement à ce que semblait penser un sympathique mais ennuyeux papy (l’aumônier des lieux ?) au micro dans un speech introductif lénifiant, très “soyons tous unis dans l’amour du Christ et élevons-nous par le biais de ses souffrances”, sur le contenu duquel je m’abstiendrai de tout commentaire (afin de ne pas polémiquer sur un sujet épineux comme peu d’autres : la religion) si ce n’est le regret de voir un concert (événement a priori, de nos jours, laïque) commencer avec une demi-heure de retard en raison d’un sermont ronflant alors même que l’horaire initial (19h30) avait déjà été reculé —de courte notice comme disent les anglo-saxons— d’une demi-heure. Car, s’il est vrai que “Jean-Sébastien Barre” (sic) a composé sa Passion “en tant que croyant et pour des croyants” (dixit le papy qui semblait s’intéresser bien plus au texte qu’à la musique), faut-il pour autant en déduire que le public venu en masse était vierge de tout présence athée [“Non !” répond avec énergie la pondeuse de ces lignes] et lui infliger une invitation au recueillement qui ressemblait furieusement à une répétition générale de la messe solennelle donnée en la mémoire d’une célèbre nièce de Président le lendemain dans les mêmes lieux ?

Quoiqu’il en soit, passés les gloussements provoqués ci et là par le speech sus-cité, la musique prit enfin le dessus, et le concert proprement dit commença, avec une introduction orchestrale particulièrement complexe et dont John Nelson s’attache à souligner l’architecture en soignant le suivi des voix. Las ! Cela nous ramène au premier paragraphe —l’acoustique. Aussi est-ce vainement que l’on cherche à percevoir les couleurs de l’Ensemble Orchestral, qui par ailleurs s’acquitte fort bien de cette musique —on regrettera juste la faiblesse des deux violes d’amour, et un léger manque général d’aisance—, et, frustré, reporte-t’on son attention exclusivement sur les solistes.

Si Kurt Azesberger est doté d’un timbre nasillard assez peu séduisant et fait entendre de sérieux problèmes d’intonation dans ses récitatifs les plus modulants, son Evangéliste trouve en général le ton juste, en dépit, au final, d’une relative uniformité.

Des quatre solistes vocaux (entendez par là “les quatre qui ont des airs”), on retiendra surtout le ténor positivement lumineux du canadien John Tessier, dont le physique de jeune premier s’accompagne d’une voix de belle facture, à l’émission franche, aux aigus clairs et aux phrasés élégants, ainsi que la belle et poignante présence de la mezzo Malena Ernman, exemplaire de justesse et de sobriété (comme il est amusant de penser que le lendemain même de ce concert elle retournait aux excès si peu catholiques de Cabaret à Stockholm !) dans ses deux airs —dont le second, Es ist vollbracht, introduit la viole de gambe discrète de Jérôme Hantaï dans un dialogue miraculeux d’écoute mutuelle entre la chanteuse et l’instrumentiste, avant un extraordinaire sursaut d’énergie dans la seconde section de l’aria, sur “Der Held aus Juda siegt mit Macht und schließt den Kampf” ("Le héros de Judée vainc avec force et achève le combat"). Une fois de plus, la sensibilité de la suédoise fait mouche dans une partie mettant en valeur le versant sombre de son timbre (avec juste ce qu’il faut d’autoflagellation morale dans son Von den Stricken meiner Sünden), et augure d’une belle Saint Matthieu la saison prochaine avec les mêmes chœur, orchestre et chef (je salive déjà à l’idée d’entendre son Erbarme Dich!). Je doute malheureusement qu’une grande partie du public ait pu goûter les raffinements d’une interprétation émouvante, l’acoustique (encore elle !) portant fort mesquinement une voix concentrée et pénétrante mais naturellement peu décibélique.

De décibels, en revanche, la soprano Rebecca Evans n’est pas avare —un penchant qui aurait pu être rédhibitoire dans une acoustique plus sèche, mais avait au moins, en l’occurrence, le mérite de la rendre audible à un maximum d’auditeurs (même s’il ne valait mieux pas avoir les tympans trop sensibles dans les tous premiers rangs…)— ; et son timbre clair, allié à une belle musicalité, sied à merveille à l’ambiance générale de ses deux airs (notamment Ich folge Dich gleichfalls mit freudigen Schritten), même si j’aurais pour ma part préféré une voix un peu plus légère. David Wilson-Johnson (remplaçant John Relyea, souffrant), quant à lui, s’acquitte plus que convenablement de la variété formelle (arias, ariosos) de la partie de basse.

Si l’on peut discuter le choix d’un chœur aussi jeune que la Maîtrise de Notre-Dame (les plus âgés de ses membres semblent tout juste bâcheliers), qui fait entendre un certain manque d’homogénéité (les altos masculins évoqués plus haut ayant une fâcheuse tendance à jouer des coudes dans l’aigu et les ténors étant plus que discrets), sa prestation n’en est pas moins bonne, non exempte de tonus et de rage ; et n’était, une fois de plus, le mixer sonore ambiant, on pourrait même saluer leur articulation d’un allemand malheureusement légèrement teinté d’accent français.

Tout ce beau monde était mené de main ferme par un John Nelson précis et énergique, sans doute pas mécontent de jouer le temps de deux soirs les bâtisseurs de cathédrale.

En résumé, donc, une plutôt belle soirée bêtement condamnée dès le départ par le choix d’un lieu diablement inadéquat. Un comble, tout de même, pour une Passion !

Mathilde Bouhon

[ contact ] [ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]