......
|
METZ
18/03/2008
Johann Sebastian Bach
(1685 - 1750)
Passion selon Saint Jean
Katharine Fuge, soprano
Robin Blaze, contre-ténor
Christoph Prégardien, ténor (l’Evangéliste + Arias)
Peter Kooij, basse
Matthias Horn, basse (Le Christ)
Chœur Arsys Bourgogne
Le Concert Lorrain
Direction Pierre Cao
Metz, Arsenal, 18 mars 2008,
|
L’évidence de l’Evangéliste de Prégardien
Qu’il est long de descendre de son nuage après un tel concert...
Difficile en effet de ne pas être élevé par une
direction qui favorise à un tel point la transparence et la
lisibilité de l’écriture sans renier le dramatisme
de certaines pages. Les chœurs
de « turba » (la foule) sont ainsi
extrêmement efficaces et d’une mise en place impeccable (on
reconnaît-là l’excellence de Pierre Cao chef de chœur), tel le redoutable Lasset uns den nicht zereilten, pris à un tempo très rapide. De même, les Wohin ? du chœur parsemant l’admirable aria de basse Eilt, ihr angefochten Seelen sont d’une perfection qui laisse pantois.
On apprécie une grande variété de climats,
notamment dans les Chorals, jamais redondants (ce qui est un risque
dans ces Passions).
Beaucoup de fluidité donc dans la direction de Pierre Cao, de
légèreté aussi... mais un peu trop parfois
à notre goût, comme pour la basse continue du chœur
d’entrée, ce qui enlève un certain poids à
l’ensemble. L’introduction instrumentale est
également d’une grande douceur et jouée pianissimo,
elle ne se renforce que sur la marche harmonique
précédant l’entrée du chœur. Si
l’effet est efficace, on peut préférer une couleur
plus tragique et davantage d’intensité dès les
premières notes. De même on pourra préférer
tempi plus posés pour certains numéros, comme le dernier
chœur.
Enfin, on est perplexe face à certains choix
d’instrumentation pour la basse continue, ainsi la contrebasse
dans le sublime air de basse Mein teurer Heiland ou le basson dans le non moins sublime « air des larmes » (Zerfließe, mein Herze) de la soprano alourdissent quelque peu le discours.
Mais ne restons pas sur ces remarques critiques pour définir les
choix de Pierre Cao qui a offert une direction souple, sensible et
profonde, magnifiant l'écriture de Bach.
Il était en cela aidé par un chœur superlatif, son chœur, Arsys Bourgogne
composé ici d’une vingtaine de chanteurs, dont
l’homogénéité et la beauté de son, la
sûreté d’intonation et la précision
(indispensables pour les chœurs de Turba) sont d’une perfection impressionnante.
L’orchestre, Le Concert Lorrain,
plus modeste, fait preuve d’une belle implication et d’un
dynamisme appréciable. On regrette par contre que les basses
d’archet aient été désaccordées
durant la première partie, ce qui fut fort cruel pour les
récitatifs de l’Evangéliste. Les traverso
sont quant à eux peu audibles, ce qui force ces musiciens
à jouer debout pour certaines arias... Et si l’on regrette
l’absence de violes d’amour pour l’air du
ténor Betrachte, meine Seel, on remarque un excellent basson et un superbe hautbois da caccia pour l’air des larmes.
Belle réunion de chanteurs pour les Arias de cette Passion, notamment un très bon Peter Kooij, un Robin Blaze très expressif et une très émouvante Katharine Fuge. Le Christ de Matthias Horn est plus en retrait mais ne démérite pas.
Terminons par ce qui restera sans doute le plus dans notre souvenir, à savoir l’Evangéliste de Christophe Prégardien.
Pour nous, déjà, avant le concert, l’Evangéliste des Passions
de Bach, C’EST Prégardien. Après le concert, nous
ne sommes que confortés dans notre idée, qui devient
évidence devant une telle prestation... pourtant 20 ans
après son enregistrement avec Kuijken !
La voix est certes moins souple qu’alors (et il est dommage que
l’on n’ait pas ce soir confié les Arias à un
autre ténor, car là, il faut avouer que Prégardien
était parfois en difficulté (1)),
mais elle a pris du corps et la maîtrise du chanteur dans la
partie de l’Evangéliste est toujours aussi
impressionnante.
Mais Christoph Prégardien n’est pas seulement un
merveilleux chanteur, il est un « diseur »
exceptionnel (prononciation absolument impeccable), qui sait souligner
certaines phrases, certains mots ne serait-ce qu’avec une petite
inflexion qui vous remue le cœur (la manière
d’amener le chœur de la Turba
qui réclame la Crucifixion ou l’entrée des femmes
devant la Croix... !). Prégardien captive de bout en bout
et parfois, avec une palette expressive des plus variées et
subtiles, bouleverse.
Une telle intelligence du récit associée à une
telle maîtrise de la voix, combien de fois rencontrons-nous cela
dans notre vie ?... Ce soir, c’en fut une pour nous... Du grand,
du très grand art. Inoubliable.
Pierre-Emmanuel Lephay
Note :
(1) Il est en outre pour l’auditeur
peu convaincant que ce soit l’Evangéliste qui chante les
Arias, les rôles étant bien
départagés : récits
« objectifs » pour l’Evangéliste,
expression des sentiments pour les solistes - et le chœur. Et
pour le chanteur, il doit être bien peu commode de passer de
l’un à l’autre, l’écriture vocale
étant fort différente entre les récitatifs de
l’Evangéliste et les arias.
|
|