On ne
sait trop pour quelles raisons, lorsqu'ils ont reçu commande d'une
nouvelle oeuvre, le compositeur belge Philippe Boesmans et le metteur en
scène suisse Luc Bondy ont choisi ensemble de se pencher sur la
pièce de Strindberg, Mademoiselle Julie, et d'en faire un
opéra.
Le livret est plutôt mince :
Julie, jeune aristocrate dans un domaine isolé, décide, par
dépit, pour se désennuyer un peu, l'alcool aidant, de séduire
Jean, son majordome. Elle y parvient sans peine, l'affaire est consommée
quasiment sous les yeux de la femme de chambre Kristin, qui est aussi la
fiancée de Jean, figure de vertu face au couple décadent.
Julie réalise bien vite que cette histoire n'a pas plus de sens
que d'issue, que Jean est moins épris qu'intéressé,
et après avoir envisagé la fuite, elle choisit la mort, suggérée
d'ailleurs par Jean lui-même.
Lorsque Strindberg livra sa pièce
en 1888, elle dégageait un sulfureux parfum de scandale parfaitement
compréhensible pour l'époque, mais qui ne fait plus guère
recette aujourd'hui. Cette histoire est trop mince, trop univoque pour
faire un bon livret d'opéra, et c'est le principal reproche qu'on
fera à l'oeuvre de Boesmans ; sur le plan musical, on retrouve ici
ce qu'on avait déjà pu apprécier dans ses oeuvres
précédentes, une grande richesse d'écriture, une attention
délicate accordée aux timbres orchestraux, en particulier
dans les vents, un discours éclaté. La partition est cependant
moins lyrique que n'était l'opéra précédent
de Boesmans, Wintermärchen, moins intense, moins ambitieuse,
presque sans poésie. Dépassant à peine une heure,
Julie est une oeuvre décidément mince.
© Elizabeth Carecchio
Sur le plan de l'interprétation,
soulignons le travail remarquable de précision et d'engagement du
chef Kazushi Ono, qui, à la tête d'un ensemble restreint,
réussit une mosaïque de timbres et de couleurs de grande qualité.
La mise en scène de Bondy place l'action dans la cuisine du château,
insiste sur quelques piteuses images de déchéance, qui ne
font pas un beau spectacle mais servent le propos ; l'ensemble de la pièce
est traité avec réalisme mais on a connu Bondy plus inspiré,
plus onirique.
Les trois interprètes que nous
avons entendus (il y a deux distributions) remplissent remarquablement
leurs rôles : le mezzo-soprano Malena Ernman, quintessence de blonde
suédoise longiligne, impressionne par son physique autant que par
sa voix, par son engagement aussi. À ses côtés, Garry
Magee campe un Jean cynique et déplaisant mais efficace, avec cependant
quelques imprécisions dans l'intonation qui nuisent à la
qualité des ensembles vocaux. La Kristin de Kerstin Avemo, jeune
soprano également suédoise, sans conteste le personnage le
plus poétique et le plus subtil de la pièce, est remarquable
de justesse et de détachement.
Claude JOTTRAND
Jusqu'au 22 juillet 2005 au Théâtre
du Jeu de Paume.