Gérard Mortier, Sylvain Cambreling
et Bernard Foccroulle ont sans doute compris - mieux que tout le monde
- à quel point la musique de Janacek était fabuleuse. Ainsi
depuis le début des années 80 et jusqu'à ce jour,
la Monnaie nous a offert de très belles productions : La petite
renarde rusée en 1986, Jenufa en 1987 et 1991 avec Anja Silja dans
une lecture de Sylvain Cambreling, Le journal d'un disparu en 1990 toujours
avec Cambreling ; Cambreling qui dirigera la Sinfonietta dans trois concerts
différents en 1983 et deux fois en 1985 ; plus récemment
une fabuleuse production de l'Affaire Makropulos avec Anja Silja, David
Kuebler et Dale Duesing avec Peter Eötvös au pupitre et enfin
deux Kat'a Kabanova, une en 1983 et celle d'aujourd'hui dont je parlerai
abondamment plus tard. Qu'est-ce qui dans la musique de Janacek fascine
les responsables de la Monnaie depuis maintenant vingt ans ? Sans doute
cette inspiration mélodique héritée de la tradition
populaire slave, sans doute ce prodigieux lyrisme, cette écriture
vocale faite de grandes phrases chantées et une orchestration prodigieuse
reconnaissable entre mille. Tout ceci fait de Janacek le grand oublié
des compositeurs traditionnels, car avec de tels atouts il est temps qu'en
terme de popularité on le range aux côtés de Verdi
et de Wagner.
Cette petite revendication mise de
côté, nous pouvons nous intéresser à la Kat'a
nouvelle, co-produite par le Salzburg Festspiele, le Théâtre
du Capitole de Toulouse et par la Monnaie. La direction artistique en a
été confiée à Christoph Marthaler qui - avec
Anna Viebrock - situe l'action dans un décor qui rappelle celui
de Rear window d'Alfred Hitchcock : une cour d'immeuble sur laquelle donnent
plusieurs fenêtres où nous assistons à la vie quotidienne
des habitants. Un homme joue du violon, un couple se dispute et au milieu
évoluent les quelques personnages du drame. L'esthétique
adoptée dans le choix des costumes, des maquillages et des coiffures
est une sorte d'apologie du mauvais goût des années 70 : robes
à carreaux orange-brun, lunettes d'écaille, coiffures salaces
plaquées à la gomina, robes sac, etc. La définition
dramatique des personnages - le livret n'y est pas pour rien - est relativement
linéaire : la méchante belle-mère, vieille, laide
et lubrique, l'horrible tuteur qui partage tous les vices précédemment
cités, le mari, triste et fade, le couple de jeunes amoureux tantôt
épanouis (dans leur relation amoureuse) tantôt timorés
(face à l'autorité), un amant de bonne composition mais finalement
résigné et Katia, qui rêve de voler. Voilà donc
l'exposition toute simple de cette femme mariée, tyrannisée
par sa belle-mère, qui trouve dans une relation extraconjugale le
moyen métaphorique de réaliser son rêve d'enfance :
s'envoler.
Le casting réuni par la Monnaie
est à deux détails près le même que celui du
festival de Salzbourg et de l'enregistrement commercialisé par Orfeo
d'oro (Jane Henschel remplacée par Livia Budaï et Dagmar Peckova
- initialement prévue - remplacée par Christine Rice.) Les
seconds rôles sont richement tenus, on se demande même ce qu'un
ténor mozartien de l'envergure de Rainer Trost veut prouver en chantant
Vania. Peu importe, puisqu'il le fait très bien. Inutile de détailler
une à une les performances de chacun des interprètes tant
on peut dire qu'elles se confondent dans un honnête travail d'équipe
: tout le monde fait son travail, de Livia Budaï qui chante fort et
mal à Henk Smit qui - peut-être - en fait un peu trop. Un
mot tout de même sur le couple d'amoureux éperdus : David
Kuebler, le rossinien repenti au timbre nasal et rugueux campe, comme dans
L'affaire Makropulos l'année dernière, un jeune homme fragile
flanqué d'une voix inesthétique à la technique parfaitement
assumée. On s'émerveillera sans doute de la performance d'Angela
Denoke qui - vraiment - est irréprochable vocalement, mais son rôle
d'épouse coupable lui va - dramatiquement - assez mal. En gros,
scéniquement, c'est très peu convaincant.
Reste le fabuleux orchestre de la Monnaie
qui, dirigé par son ancien directeur musical, Sylvain Cambreling,
se transcende et offre une lecture de l'oeuvre digne de sa partition.
Assurément en ce début
d'année, ce qui aura surtout impressionné à la Monnaie,
c'est l'orchestre, devenu un véritable petit bijou à bichonner
précautionneusement.
Hélène
Mante