Moussorgsky : voilà bien un
"cas" dans l'histoire de la musique, à de multiples titres. Compositeur
largement en avance sur son époque, dont les audaces furent incomprises
en son temps, et qui provoquèrent des "révisions", des "arrangements"
de pratiquement toutes ses úuvres, notamment de la part de Rimsky-Korsakov.
Il est donc indispensable lorsque l'on joue du Moussorgsky de mentionner
la version et/ou l'orchestration choisie, ce que ne fait pas l'Opéra
de Zürich dans sa plaquette annuelle... Or, La Khovanchtchina
(opéra inachevé, et non orchestré, sauf deux courts
passages) est peut-être l'úuvre qui souffrit le plus du travail de
Rimsky-Korsakov. Travail d'orchestration mais aussi de révision
des lignes mélodiques et de l'harmonie qui frise le sabotage, en
tout cas qui aplatit et banalise complètement le langage si particulier
de Moussorgsky.
Chostakovitch a orchestré lui
aussi La Khovanchtchina, mais ce, de manière beaucoup plus
fidèle à l'esprit de Moussorgsky, et en ne modifiant ni les
lignes vocales, ni l'harmonie. Emil Tchakarov, Claudio Abbado, Valery Gergiev,
James Conlon, tous les chefs qui montent La Khovanchtchina aujourd'hui
choisissent l'orchestration de Chostakovitch... pas Vladimir Fedoseyev
qui dirige pour cette production l'orchestration/sabotage de Rimsky-Korsakov.
Curieux de la part de ce chef qui fut pourtant un des premiers à
enregistrer Boris Godounov dans la version originale de Moussorgsky,
et non dans l'orchestration de Rimsky-Korsakov...
Par ailleurs, sa direction est si
peu enthousiasmante, molle, sans beaucoup de relief, que l'ouvrage en devient
ennuyeux. La déception se transforme en colère...
L'équipe de chanteurs n'est
guère plus enthousiasmante, d'autant plus que Nicolaï Ghiaurov,
souffrant, ne chantait pas le rôle de Dossifeï, et que Matti
Salminen ne participait finalement pas à cette reprise... Pavel
Daniluk qui remplaçait Ghiaurov, tirait son épingle du jeu,
par un chant soigné et une caractérisation sobre. Ce n'est
pas le cas de l'Ivan Khovansky de Sergej Aleksaskhin proche bien souvent
de la grandiloquence, avec un chant rugueux et peu soigné.
Le fils, Andreï Khovansky, chanté
par Victor Lutsiuk, était bien meilleur. Yvonne Naef en Marfa séduisait
par une belle voix, et là encore une incarnation sobre. Très
décevant, en revanche, le Golitsyne de Rudolf Schasching, dont la
ligne de chant et les aigus laissaient vraiment à désirer,
et dont le physique et l'incarnation ne flattaient guère le personnage.
Le meilleur chanteur de la soirée aura sans doute été
le Chaklovity de Michael Volle, réussissant une très belle
prestation, tant vocalement que scéniquement. Les autres chanteurs
étaient sans surprises, ni bonnes, ni mauvaises. Les chúurs étaient
très beaux, l'orchestre un peu moins, mais je pense que cela aussi
était dû au manque d'implication de Fedoseyev.
Reste la mise en scène d'Alfred
Kirchner dont c'est le deuxième travail sur La Khovanchtchina.
C'est en effet Kirchner qui a monté cet ouvrage avec Claudio Abbado
à l'Opéra de Vienne en 1989 (version Chostakovitch avec final
de Stravinsky). Les deux productions sont différentes, et il faut
bien constater que celle-ci, pour la version Rimsky, est la moins réussie.
Avec un dispositif scénique très pauvre (une multitude de
portes, un écran sur lequel sont projetées des images en
plus ou moins grande adéquation avec les tableaux, des bouts d'escalier
mobiles...), l'attention n'est soutenue que grâce à une direction
d'acteurs qui reste cependant inégale selon les scènes. Il
est amusant de retrouver des idées communes entre les deux productions,
telle cette juxtaposition d'éléments d'époques différentes
("coexistence" comme dit Kundera qui a cherché le même effet
en littérature).
Bref, une grosse déception que
ce spectacle...
Pierre-Emmanuel LEPHAY