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MUNICH
31/03/2007
© DR
Modest Moussorgsky
Khovanschina
Drame musical populaire en 5 actes
Version de Dimitri Chostakovitch
Scène finale d’Igor Stravinsky
Direction musicale : Kent Nagano
Mise en scène, décors et costumes : Dmitri Tcherniakov
Lumières : Gleb Filshtinsky
Ivan Khovanski : Paata Burchuladze
Andreï Khovanski : Klaus Florian Vogt
Golitsyne : John Daszak
Chaklovity : Valery Alexejev
Dossifeï : Anatoli Kotscherga
Marfa : Doris Soffel
Trois vieilles croyantes : Helena Jungwirth, Lana Kos et Anaïk Morel
Emma : Camilla Nylund
Le Scribe : Ulrich Reß
Kuzka : Kevin Conners
2 Streltsy : Christian Rieger, Rüdiger Trebes
Varsonofiev : Marc Pujol
Der Chor der Bayerischen Staatsoper
Chef des chœurs : Andrés Máspero
Das Bayerische Staatsorchester
Nouvelle production
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Contresens et contre-emplois
En feuilletant le programme de ce spectacle avant
que ne s’éteignent les lumières de la salle, on
pressent que la mise en scène sera... particulière. Des
photos de la Révolution russe de 1917 et de la chute de
l’empire soviétique en 1991 sont mises en regard
d’un célèbre tableau de Sourikov datant de 1881
(année de la mort de Moussorgsky) montrant un Pierre Le Grand
conquérant et inflexible face à des streltsy (un corps
d’armée qu’il considérait par trop
gênant) défaits et fourbus.
Jusque là, rien de vraiment anormal, le sujet de Khovanschina
traitant de luttes de pouvoir. Mais l’on découvre
également des photos d’événements tous plus
dramatiques et/ou sanglants les uns que les autres : ghettos juifs,
bombardements à Berlin et Dresde, camps de
réfugiés à Haïfa et en Jordanie dans les
années 50/60, invasion du Sinaï par Israël en 1956,
guerre civile au Salvador en 1981... Le ton est donné :
l’action évoquera tout cela à la fois, elle
évoquera toutes les oppressions, toutes les violences faites aux
minorités.
De fait, de la violence, du sang, des cadavres, des coups de pistolet,
des rafales de mitraillette, des explosions, en veux-tu en
voilà, agrémenté de corruption, de débauche
et de sexe, le tout se déroulant dans un univers glauque de
béton : Khovanschina sera le reflet de notre époque.
© DR
Disons d’emblée que cela nous a paru « too
much », souvent gratuit et, plus grave, que cette production
malmène l’ouvrage de Moussorgsky.
Khovanschina met
en effet en scène les conflits, à la fin du XVIIe
siècle, entre les trois pouvoirs : militaire (pro-slave,
représenté par Khovanski), politique (occidentaliste,
représenté par Golitsyne), et religieux (ancré
dans les traditions ancestrales, représenté par
Dossifeï, Marfa et les Vieux Croyants).
On voit de suite l’inconvénient majeur qui se pose
à une transposition : la religion n’a plus du tout
aujourd’hui le poids qu’elle avait à
l’époque. Dmitri Tcherniakov est ainsi obligé de
modifier la nature des personnages et des situations, ce qui aboutit
parfois à des contresens consternants : Golitsyne devient un
militaire, Dossifey un fanatique, ce qu’il est certes, mais sans
référence à la religion (son entrée
pistolet au poing et tirant en l’air est absolument
grotesque), Marfa, sœur de la communauté des Vieux
Croyants, devient une bourgeoise tous bijoux dehors... Seul Ivan
Khovanski est épargné en apparaissant comme le prototype
du russe bon vivant... mais mafieux et à la tête
d’un service d’ordre musclé !
Les situations sont souvent outrées avec notamment une violence
exacerbée (les Danses persanes chez Khovanski
transformées en orgie de sexe et de sang, Kuzka molesté
par la foule, Golitsyne sortant d’une séance de torture
avant son exil...) et finalement inutile.
© DR
Sans doute faut-il voir là de la part du metteur en scène
une volonté de montrer une Russie contemporaine toujours aussi
maltraitée et fragile. Mais comment expliquer la présence
sur la scène de Pierre Le Grand (visiblement au bord de la
folie) et de la régente Sophie (qui passe presque tout son temps
à une fenêtre) ? Le mélange ne prend pas.
Même s’il faut reconnaître à Tcherniakov un
certain sens de la grandeur, l’outrance finit par lasser et par
agacer lorsque les situations de l’opéra de Moussorgsky -
si ce n’est la partition - sont transformées. Ce
n’est ainsi pas le boyard Chaklovity qui assassine Ivan Khovanski
mais une jeune femme révoltée par sa barbarie, Khovanski
ayant malgré cela le temps de tout faire sauter avec une
grenade... Quant au personnage de Suzanna, sœur de la
communauté s’opposant à Marfa, il est chanté
par 3 femmes ( ! ), tandis que des badauds qui les accompagnent
bousculent la malheureuse, s’ils ne tentent pas de la violer.
Enfin, lorsqu’un envoyé du tsar vient annoncer, à
la fin de l’acte IV, leur grâce aux streltsy
condamnés, on entend peu après des rafales de
mitraillette et les cris des malheureux exécutés, le tout
sur un fond sonore constitué par l’enregistrement de la
conclusion de l’acte en « fade out » et
coupé avant que ne retentisse le dernier accord... !
Comment Kent Nagano a-t-il pu accepter une telle intervention sur la
partition ?
Certes, l’effet scénique qui accompagne cette fin
d’acte est impressionnant : le plateau entier, avec son
imposant décor, recule lentement jusqu’au fond de la
scène puis disparaît derrière un rideau, laissant
ainsi la scène complètement nue pour le dernier acte.
Mais cette image doit-elle justifier un tel traitement de la
partition (et nous n’évoquerons pas les coupures,
parfois fort importantes) ? A notre sens, non. Et la force,
indéniable, qui se dégage de ce dernier acte ne saurait
compenser l’impression de malaise et de manipulation de
l’œuvre qui persiste à l’issue de la
représentation.
© DR
La distribution réserve elle aussi des
« contresens », des contre emplois qui
gâchent le plaisir. Ainsi Doris Soffel, mezzo et non alto - si ce
n’est contralto - comme l’exige le rôle de Marfa,
lutte-t-elle en permanence avec sa partie à en donner le mal de
mer du fait de notes outrageusement poitrinées qui
alternant avec un medium et un grave dépourvu de corps. De
même, l’Andreï Khovanski de Klaus Florian Vogt,
d’une mièvrerie désespérante, est une erreur
de distribution manifeste : avec sa voix charmeuse, son chant
stylé et élégant, il est totalement à
côté du personnage brutal et malheureux dans lequel un
Vladimir Atlantov par exemple (chez Abbado) ou un Vladimir Galouzine
(chez Gergiev) sont marquants. Le Dossifeï d’Anatoli
Kotscherga est à bout de souffle. Timbre décharné,
aigus blancs, sans harmoniques, graves écrasés, seule
l’incarnation, saisissante mais frisant parfois le grand guignol,
donne vie au personnage.
Paata Burchuladze (qui fut un mémorable Dossifeï chez
Abbado) est par contre très à son affaire avec
Andreï Khovanski. La voix toujours aussi solide et imposante,
dotée d’aigus fracassants et de graves abyssaux, rappelle
que ce chanteur n’est jamais aussi convaincant que
lorsqu’il chante en russe.
Le Chaklovity de Valery Alexeev est très beau, comme le
Golitsyne de John Daszak, le scribe d’Ulrich Ress ou le Kuzka de
Kevin Conners, tous convaincants. Quant aux trois chanteuses qui
« incarnent » Suzanna, si deux d’entre
elles sont à la hauteur, la troisième affiche une voix en
lambeaux dont on se demande ce qu’elle fait sur une scène
de cette importance.
Les chœurs, très fournis, sont superbes, notamment dans le
dernier acte où leur rôle s’avère capital.
Les attaques des aigus par les sopranos, par exemple, sont toujours
nettes, ce qui est fort appréciable, notamment dans la
scène finale de Stravinsky choisie pour cette production.
Kent Nagano a en effet préféré
l’achèvement de Chostakovitch (rappelons que Moussorgsky
ne put terminer l’ouvrage : ni l’orchestration, ni la
fin des 2ème et 5ème actes) mais a remplacé son
finale, il est vrai bien trop
« soviétique », par celui, magistral, que
Stravinsky composa en 1913 pour une production de Diaghilev. Nagano
conduit cet ouvrage monumental avec un grand soin du détail, un
certain souffle mais use de tempi
rapides parfois un peu dérangeants. La prestation de
l’orchestre, magnifique, est cependant jalonnée
d’erreurs de départ récurrentes et pour le moins
surprenantes.
Au final, que retenir de cette production ? Sans doute
l’accueil du public à l’issue de la
représentation. Comment en effet - et ce, quelle que soit la
mise en scène - résister au poids terrifiant, à la
grandeur tragique écrasante de l’ultime scène de
cet ouvrage grandiose ? Près d’un quart d’heure
de saluts, dont les derniers réclamés par une
poignée de spectateurs enthousiastes et que les artistes saluent
avec reconnaissance, sont le signe que cet opéra fascine
toujours et encore.
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