Lundi 10 décembre à l'Opéra
Bastille : première de la nouvelle production de La Khovantchina.
L'oeuvre est longue (environ trois heures de musique), aussi le rideau
se lève-t-il une demi-heure plus tôt que l'horaire habituel,
et les deux entractes sont réduits à un minuscule quart d'heure.
C'est un bien, car ainsi le public n'a pas le temps de se déconcentrer,
de sortir de cette intrigue aride et tarabiscotée.
La salle n'est pas tousseuse, ce qui
est rare pour un soir très froid de décembre, mais c'est
encore pire : la salle est renifleuse ! De beaux instants de musique gâchés
par des bruits de remontées glaireuses émis par des individus
auxquels on prêterait bien un mouchoir, qu'ils cessent une fois pour
toutes ce bruit infernal !
Un premier coup d'oeil au programme
a de quoi inquiéter : mise en scène d'Andrei Serban, chorégraphie
de Laurence Fanon (celle qui faisait se promener des insectes en brouette
dans Ariodante l'an passé). Divine surprise, si l'on frôle
quelques rares fois la vulgarité ou le ridicule (le feu d'artifice
miteux de la fin de l'acte IV, les ménagères qui frappent
les streltsi à coup de balai), on ne s'y vautre jamais. Au contraire,
la mise en scène est classique, les personnages convenablement dirigés,
les mouvements de foule bien montés, Andrei Serban parvient presque
à rendre intelligible une intrigue incompréhensible pour
le commun des mortels, sauf à être spécialiste de l'histoire
de la Russie ! Un travail qui ne valait en tout état de cause ni
les huées ni les acclamations dont il a été couvert
à l'issue du spectacle (habitude des premières bastillaises
?)
La chorégraphie est tout aussi
classique, à base de danse folklorique obligée, de balalaïka
et de danseuses de harem. Les costumes sont jolis, et grâce à
un code de couleur, on arrive à repérer du premier coup d'oeil
parmi les nombreux figurants et choristes qui sont les streltsi, qui sont
les Moscovites et qui sont les mercenaires du tsar, ce qui n'est pas si
simple, et qui facilite grandement l'intelligibilité des situations.
Les décors sont en revanche laids, gris et passe-partout, comme
s'il était impossible de concevoir un décor à la fois
stylisé et esthétique !
Musicalement, la soirée est
particulièrement réussie : visiblement, cette oeuvre convient
bien à James Conlon et à l'orchestre de l'Opéra National
de Paris, qui livrent une très bonne prestation, et les choeurs,
omniprésents, sont excellents.
Le rôle long et difficile de
Marfa est tenu par Larissa Diadkova, voix profonde et solide de contralto,
qui ne fléchit pas une seconde tout au long de l'oeuvre, pas plus
que les deux basses Anatoli Kotscherga et Vladimir Ognovenko, respectivement
Dossifei et Ivan Khovanski, basses d'opéra russe comme on les imagine
et comme on les aime, véritablement impressionnants.
Le prince Golitsine est interprété
par le ténor américain Robert Brubaker, visiblement habitué
aux rôles russes, puisqu'il tenait celui du comte Bezoukhov dans
Guerre et Paix l'an dernier. Il y est d'ailleurs beaucoup plus à
l'aise que dans le récent der Zwerg du Palais Garnier, qui nécessite
plus de demi-teintes. Ici la voix est éclatante.
L'autre ténor de la distribution
est le splendide Vladimir Galouzine dans le rôle du prince Andrei,
et c'est presque criminel de l'entendre chanter si peu, même s'il
s'agit du jeune premier ! On voudrait qu'il ne quitte jamais la scène.
De plus, scéniquement, il incarne son personnage de façon
saisissante.
Les seconds rôles sont à
l'aune des rôles principaux, excellemment tenus, sauf pour l'Emma
de Tatiana Pavlovskaya, criée, forcée et fausse. Une mention
spéciale au clerc plein de relief de Konstantine Ploujnikov, même
s'il était temps qu'il arrive au bout de sa dernière scène.