......
|
MONTREAL
03/02/2007
© Yves Renaud
Opéra de Montréal 2007
Léo DELIBES (1836-1891)
LAKMÉ
Opéra en trois actes
Livret d’Edmond Gondinet et Philippe Gille
d’après Le Mariage de Loti de Pierre Loti
Coproduction de l’Opéra de Montréal
et d’Opera Australia (Sidney)
Direction musicale : Jean-François Rivest
Mise en scène : Adam Cook
Décors et costumes : Mark Thompson
Éclairages : Gavan Swift
Chef de chœur : Claude Webster
Lakmé : Aline Kutan
Malika : Mireille Lebel
Ellen : Anne Saint-Denis
Rose : Allison Angelo
Mistress Benson : Leticia Brewer
Gérald : Frédéric Antoun
Nilakantha : Randall Jakobsh
Frédéric : James Westman
Hadji : Thomas Macleay
Place des Arts, Salle Wilfrid Pelletier
Montréal, le 3 février 2007
|
La jeune indoue et le chef
À partir de sa création le 14 avril 1883 et pendant le
reste de l’année, Lakmé partagea la scène de
l’Opéra-Comique avec plus d’une trentaine
d’œuvres marquantes de son répertoire et atteignit
la cinquantième représentation le 25 décembre
suivant. Ainsi Paris put entendre et admirer les splendeurs du riche
patrimoine de ce théâtre depuis Le Déserteur jusqu’à Carmen en passant, entre autres, par Richard
Cœur-de-Lion, La Dame blanche, Le Postillon de Lonjumeau, Le
Pré aux clercs, Le Domino noir, Le Pardon de Ploërmel, La
Perle du Brésil, Roméo et Juliette et Mignon.
Tout en rêvant d’un improbable retour de semblables
saisons, on peut imaginer l’intérêt que
susciteraient des reprises fréquentes de quelques unes de ces
œuvres. Quant à Lakmé,
son destin n’est guère enviable de nos jours. Elle fait
presque figure de pièce de musée, du moins de ce
côté-ci de l’Atlantique. Elle a été
donnée en version de concert par l’Opéra de
Montréal (OdM) en 2000, mais la dernière
présentation scénique à Montréal date de
plus de 65 ans. On l’a reprise en raison de la présence au
pays d’Aline Kutan, probablement une des interprètes
idéales du rôle actuellement.
À l’exception du quelconque Nilakantha de Randall Jakobsh
qui se débat tant bien que mal avec la justesse et dont le
timbre disgracieux rappelle celui de Vladimir Ognev (1), la distribution
chante et joue de façon impeccable.
Aline Kutan mérite d’emblée les plus grands
éloges pour cette Lakmé de très haut vol.
D’année en année sa voix s'embellit,
s'éclaircit et gagne en projection même dans les notes les
plus graves de l'ambitus. Son incarnation, saisissante de
vérité en particulier dans la légende de la fille
du Paria (« Où va la jeune indoue »), dont
elle émet les contre notes avec la plus déconcertante
facilité, lui vaut de retentissantes acclamations et
lorsqu'elles durent plus d’une minute à l’OdM, on
peut
presque parler de triomphe. Ce constat se vérifie en fin de
soirée lorsqu’au retour de l’artiste pour un dernier
salut, la salle se lève spontanément et reprend son
ovation.
Excellent partenaire, Frédéric Antoun interprète
Gérald avec élégance et sincérité.
Ténor aux harmoniques superbes, il attaque parfois les notes
aiguës par en dessous et, au premier acte surtout,
l’émission s’engorge. Son air du premier acte
(« Fantaisie aux divins mensonges ») n’en
demeure pas moins un moment de douce tendresse et on oublie
complètement ces imperfections lorsque dans la cantilène
du troisième acte (« Ah, viens dans la forêt
profonde ») la voix se pare d’une chatoyante
limpidité.
Le Frédéric de James Westman se démarque par son
entrain, tandis que les emplois secondaires féminins sont
magnifiquement tenus tout comme l’Hadji du ténor Thomas
Mackley.
Que dire du Chœur de l’OdM ? En parler revient presque
toujours à en souligner l’excellence. Ici encore, il se
surpasse en puissance, mais aussi en finesse lorsque la situation
l’exige. Le beau chœur diaphane (« Descendons la
pente ») du troisième acte dans la scène entre
Lakmé et Gérald (« Là, je pourrai
t’entendre ») a-t-il déjà
été mieux chanté ? Dans la salle,
l’émotion est à son comble.
Pour ses débuts dans la fosse de l’OdM,
Jean-François Rivest dirige l’Orchestre
Métropolitain du Grand Montréal de main de maître.
L’impression qu’il laisse est très forte. Nous
sommes en présence d’un vrai chef d’opéra qui
apporte un admirable soutien aux chanteurs sans jamais les couvrir et
qui laisse la musique respirer. Son orchestre distille la poésie
dans les moments tendres et passionnés, souligne la force et
l’éclat de la partition dans ceux qui expriment la
colère, le désespoir ou la splendeur. Il est avec Aline
Kutan, le gagnant de cette soirée.
La mise en scène traditionnelle d’Adam Cook ainsi que les
décors et costumes de cette production servent tant
l’esprit que la lettre de l’œuvre. On peut sans doute
faire quelques reproches à la ringardise des décors, un
temple hindou un peu exigu sous un dôme de feuillage dans les
deux premiers actes, une cabane en bambou au dernier. Les costumes,
très colorés, sont magnifiques sauf celui de Nilakantha
(décidément, il n’est pas gâté le
pauvre), affublé d’une culotte qui le fait ressembler
à un pêcheur de perles plutôt qu’à un
brahmane.
Le metteur en scène accentue l’opposition très
contrastée entre la finesse du propos amoureux et la fureur
poussée au paroxysme du brahmane. Sa direction d’acteurs
porte une attention particulière à la signification des
gestes. Lakmé chante l’air des clochettes un peu comme si
elle entrait dans un rêve et sa gestuelle
éthérée illustre la vague pensée qui
l’envahit. Chez Nilakantha, les instants d’attendrissement
(« Lakmé, ton doux regard se voile ») sont
vite gommés par une rage exacerbée qui, même
lorsque Lakmé meurt, ne trouve jamais un moment
d’apaisement. Ici, aucune affection apparente du père
à l’égard de sa fille. Adam Cook pousse le
fanatisme à son extrême. Pour les mouvements
d’ensemble, il faut noter la précision avec laquelle il
amène les acteurs à éviter les déplacements
qui pourraient créer un alourdissement de l’action.
À ce propos, la scène du marché, avec ses couleurs
et son effervescence, demeure sobre tout comme l’ensemble de la
production.
L’Opéra de Montréal semble se sortir des
problèmes financiers qui l’ont assailli depuis deux ans et
mise actuellement sur un redressement qui ne met jamais en péril
la qualité artistique de ses spectacles. Il est heureux que les
partenaires et donateurs aient répondu à l’appel et
que la qualité des spectacles ne soit pas compromise. La
production de Lakmé
montre bien que l’excellence est au rendez-vous et le public
répond favorablement à ce défi en occupant tous
les sièges de la salle pour les cinq représentations.
C’est d’autant plus rassurant qu’on ne pouvait pas
s’attendre à que cet opéra fasse salle comble
même un soir de première. Si le Don Giovanni
de la fin du mois de mai donne de semblables résultats, on ne
peut douter que l’avenir de la maison sera assuré.
Réal BOUCHER
Notes
(1) Ognev est Pierre le Grand dans l’enregistrement « live » de L’Étoile du Nord de Meyerbeer, capté en octobre 1996 par Marco Polo au Festival de Wexford.
|
|