Dès le lendemain de la répétition
générale (13 avril 1883) tout Paris savait que Lakmé
serait un succès. De très grandes cantatrices françaises
s'illustrèrent dans le rôle-titre : Lily Pons (1946), Mado
Robin (1956), Mady Mesplé (1960) et leur digne héritière,
Natalie Dessay (1995).
Pourtant, soit l'oeuvre n'intéresse
plus les directeurs d'opéra, soit aucune colorature ne veut se lancer
dans partition, il est vrai périlleuse. L'ouvrage est très
rarement donné de nos jours, saluons donc le courage de l'Opéra
de Rennes qui a osé le monter, en coproduction avec le Grand Théâtre
de Reims.
Certes, la mise en scène, les
décors et les costumes sont très classiques. Daniel Bizeray
directeur de l'opéra de Rennes s'en explique : "Un jour, furetant
dans l'atelier de stockage de l'opéra, j'y trouvai d'anciens et
magnifiques châssis toilés de Lakmé, superbement peints,
datant de l'après guerre ( probablement 1954) mais en parfaite état
de conservation. Photographiés et remis à la taille d'une
maquette, ces décors confirmèrent cette belle impression,
malgré le goût de l'époque pour la surabondance, soulignant
le côté un peu kitsch du livret. L'utilisation des châssis
toilés les plus sobres sur caillebotis de bois recréant une
perspective à l'ancienne, le recours à une dramaturgie resserrée
autour de la double intrigue politique et amoureuse, permettent aujourd'hui
la renaissance d'une Lakmé dont le thème ne manque
pas d'actualité". Tout est dit !
Cependant, une innovation de Brigitte
Châtaignier est à souligner. Cette chorégraphe est
reconnue en Inde et en France parmi les rares artistes qui maîtrisent
le style traditionnel Mohini Attam, une danse féminine du Kérala
(Inde du sud). Elle a créé un personnage de danseuse présente
pendant toute l'action, mimant chaque situation, spécialement l'envoûtement
de Lakmé pour lui faire abandonner son amour coupable. Les saris
qui ont permis aux protagonistes d'évoluer gracieusement et de jouer
avec ces longues pièces d'étoffe drapée sont de toute
beauté.
Un petit bémol pour le dernier
tableau : tellement dénudé, un peu statique, et privé
de l'émotion attendue. Non seulement on ne voit pas Lakmé
absorber la feuille de datura, mais elle meurt seule au milieu de la scène
devant Nilakanta et non dans les bras de Gérald qui est censé
lui "avoir donné le plus doux rêve".
Lakmé était dévolu
au soprano colorature Chantal Perraud issu de la formation lyrique du CNIPAL
de Marseille et de la troupe de l'Opéra National de Lyon. Elle a
campé une très belle héroïne à la voix
souple, mélodieuse, aux demi-teintes bien tenues, même si
elle en abuse parfois un peu. Le célébrissime air des clochettes
a retenti avec sûreté, musicalité, sans aucun effort
apparent. Son jeu scénique était expressif et pudique à
la fois.
James Oxley, d'origine britannique,
était Gérald. Sa voix de ténor dit "leggero" cadrait
bien avec ce rôle, mais des problèmes dans les notes de passage
l'ont obligé à émettre parfois dans une voix de tête
au timbre assez pâle.
Nilakantha était tenu par le
baryton italien Fabio Previati. On aurait aimé plus d'autorité
dans son brahmane : dans les aigus, un vibrato excessif a pu entacher
la projection du son. Il s'est néanmoins très honorablement
acquitté de son grand air interprété mezza voce.
Le chef Alain Altinoglu s'est déjà
fait remarquer dans Don Giovanni avec la Grande Ecurie et la Chambre
du Roy, ainsi que la Flûte enchantée avec l'orchestre
d'Ile de France et lors de la création mondiale de Pérela
de Dusapin, pour laquelle il dirigeait l'orchestre national de Montpellier.
Il a su insuffler à l'Orchestre de Bretagne un juste mélange
de violence et de passion. Au baisser de rideau, les cors anglais sont
venus, à juste titre, recueillir les applaudissements.
Une bonne soirée, en somme.
On aimerait retrouver Lakmé plus souvent en France.
E.G. SOUQUET