Pour la quatrième année
consécutive, la station chic de l'Oberland bernois recevait le festival
de musique des "Sommets Musicaux de Gstaad". Pendant une dizaine de jours,
les amateurs de musique classique ont pu applaudir une série d'artistes
parmi les plus prestigieux du moment. Chaque année, le festival
s'attache à l'exploration d'un instrument. Après la voix,
le violon, cette année le violoncelle était à l'honneur
avec en tête d'affiche Mischa Maisky. L'occasion aussi d'entendre
des après-midis concertants avec de jeunes musiciens. Parmi ceux-ci,
on aura noté l'admirable prestation de la violoncelliste argentine
Sol Gabetta qui a su rendre passionnant la Sonate n°2 en ré
majeur op. 58 de Mendelssohn. Agée de 22 ans, elle démontre
une étonnante maturité et une musicalité d'exception.
Amoureux des voix, le directeur artistique
du festival s'arrange toujours pour insérer un récital vocal
dans sa programmation, quel que soit l'instrument en vedette. Cette année,
c'est la mezzo-soprano Jennifer Larmore qui offrait un récital dans
l'Eglise de Saanen, splendide bâtisse datant de 1406.
Depuis ses prestations au Grand-Théâtre
de Genève (Cosi fan Tutte (1991), La Cenerentola (1993),
I Capuletti ed I Montecchi (1993), L'Italiana in Algeri (1995)
et Rinaldo (1996), la mezzo américaine n'était plus
apparue sur une scène suisse. Son récital gstaadois, débutant
avec des airs de Rossini, enchaînait avec Bizet, Nin, Obradors pour
se terminer sur un air de Victor Herbert.
D'emblée, il faut remarquer
que les oeuvres choisies pour ce récital, indépendamment
de leurs difficultés, semblaient peu propices à un "liederabend".
La mezzo préférait jouer des scènes d'opéra,
tirées de la Semiramide de Rossini (Eccomi alfine in Babilonia)
ou de Carmen (les trois principaux airs dévolus au rôle-titre),
qu faire valoir la maîtrise et la beauté de son chant et sa
musicalité. Rien de répréhensible à cela, mais
le lieu paraît plus habitable par Schubert, Bach, Wolf ou Schumann
que par les pages extraverties de Rossini ou de Bizet. A l'évidence,
Jennifer Larmore est une chanteuse d'opéra bien avant d'être
une récitaliste, même si elle sait distiller de très
beaux moments dans Granadina ou El Vito de J. Nin. Cependant,
la construction de son récital ne ménageait pas cette progression
en douceur qui porte l'auditoire de l'attention au recueillement.
C'est alors que la soirée touche
à sa fin que la chanteuse réussit à dépasser
son très grand professionnalisme pour se révéler et
toucher en tant qu'artiste. Avec I want to be a prima donna extrait
de l'opéra comique The Enchanteress du compositeur irlandais
Victor Herbert, la cantatrice déploie sa verve vocale et théâtrale.
Les trilles, les roulades, les notes extrêmes et la vaste palette
de couleurs de sa voix explosent dans cet air de bravoure pétillant
d'humour. L'occasion d'apprécier la luminosité d'un spectre
vocal affermi autant dans le registre grave que dans les aigus. Inséré
entre deux strophes, un court mais sémillant extrait de la cavatine
de Rosine du Barbiere di Siviglia permet d'admirer l'agilité
vocale débordante de la mezzo-soprano américaine. Des notes
vibrantes, chargées d'harmoniques révélent à
merveille la toujours belle et saine voix de Jennifer Larmore.
Jacques SCHMITT